DossierMono-produit : une affaire d'expert
1 - Mono-produit : une affaire d'expert
En ces temps de remise en cause du modèle de la grande distribution, ouvrir un commerce mono-produit est une idée tentante. La spécialisation a en effet des atouts, notamment celui de répondre à la demande et aux peurs des consommateurs. Mais tout miser sur une seule idée est également dangereux.
Autant commencer par la question qui fâche : est-ce que le mono-produit est un modèle viable ? Selon les experts interrogés, il est au minimum risqué. Bernard Boutboul est encore plus tranché en ce qui concerne le secteur alimentaire : "C'est un modèle qui ne fonctionne pas. Tous les mono-produits se sont plantés. Parce qu'ils payent un loyer mais ne font pas assez de chiffre d'affaires. Ce n'est pas une question de qualité : le mono-produit ne suffit pas en termes de fréquentation tout au long de la journée, comme en termes de fidélisation de la clientèle".
Selon le fondateur de Gira Conseil, cabinet d'accompagnement de la consommation alimentaire hors domicile, la seule solution est d'élargir sa gamme - mais sans perdre sa cohérence, et son âme. "Même Pierre Hermé, spécialiste du macaron, vend des sandwichs et autres produits. Les gens viennent chez lui pour les macarons, mais ils reviennent pour autre chose. Et cela permet aussi de faire du CA au déjeuner et au dîner."
Pascal Madry, directeur de l'Institut pour la ville et le commerce, dresse un état des lieux plus optimiste en considérant tous les secteurs commerciaux. Sans pour autant minimiser les difficultés : "Il y a beaucoup moins de marge de manoeuvre que lorsque l'on gère un assortiment. On ne peut pas se rater sur un produit et compenser sur les ventes d'un autre, donc il faut être encore plus attentif aux coûts d'exploitation, et notamment au loyer."
Artisan...
Mais le mono-produit a un avantage de taille : la spécialisation. "Dans la période actuelle, le consommateur est rassuré par un spécialiste, et de plus en plus méfiant envers les généralistes, affirme Bernard Boutboul. Il va davantage partir d'un produit dont il a envie et chercher qui en est le spécialiste."
De plus, d'année en année, les consommateurs achètent de moins en moins en quantité - ils ont moins de vêtements dans leur armoire depuis les années 90, moins d'aliments dans leur placard depuis 7-8 ans - mais compensent en achetant de meilleure qualité. "C'est un phénomène qui se répand dans la société : on voit ce début de frugalité se mettre en place chez la majorité des consommateurs", constate Pascal Madry.
Et si les produits industriels, en souffrent, ceux ayant une connotation artisanale en profitent. Or, un commerce mono-produit va, nécessairement et fortement, mettre en avant la qualité et travailler sur les petites quantités. "Pour qu'un mono-produit marche, il faut avoir une offre crédible, pointe Pascal Madry. C'est-à-dire qu'il faut que le produit se réfère à un métier, un savoir-faire artisanal ; que le vendeur soit expert de son produit et capable de le décrire ; et qu'il y ait une adaptation de l'offre à chaque consommateur, pour lui donner le sentiment d'avoir bénéficié d'un accompagnement sur mesure et se détacher au maximum de l'idée d'un produit fabriqué en série."
Et dans cette forme particulière d'artisanat, l'entrepreneur ne doit pas se recroqueviller sur son savoir-faire en ne pensant qu'à son produit. Son écrin, la boutique, est aussi important. Les locaux doivent être agencés de façon à mettre en valeur les lieux de conception et méthodes de fabrication, ainsi que la personnalisation.
... mais pas seulement
Si un commerce mono-produit doit se mettre en scène sur le modèle de l'artisanat, il doit aussi s'approprier les méthodes marketing de la grande distribution. "Il faut choisir un des meilleurs emplacements du coeur de ville, considère Pascal Madry. Car la première visite sera un achat d'impulsion. Mais la deuxième fois, c'est un acte d'engagement, lié à des valeurs spécifiques de consommation. Il faut à la fois jouer sur le passage et devenir un lieu de destination."
Toutefois, un commerçant ayant une offre très pointue ne peut pas compter sur le seul trafic physique devant sa boutique. Il doit aussi utiliser Internet, a minima pour se faire connaître, avec un plan de communication bien construit et en étant présent sur les réseaux sociaux. Et à partir de là, la probabilité est forte que sa communauté désire également acheter en ligne.
Pascal Madry recommande ainsi aux personnes se reconvertissant dans le mono-produit de suivre une formation sur les techniques de merchandising et les outils numériques. Sans oublier de rester sur le processus classique de création d'un magasin et de faire une réelle étude de marché avant de se lancer. Les seuls encouragements et soutiens de proches ne sont (hélas) pas suffisants.