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Le business du "sans", un business d'avenir ?

Publié par Amélie Moynot le - mis à jour à
Le business du 'sans', un business d'avenir ?

Dans la lignée des restaurants sans gluten, de nouveaux commerces ont fleuri ces derniers temps sur le créneau du "sans", jusqu'à une étonnante boucherie sans viande à Paris en mai 2015. Simple effet de mode ou véritable tendance de fond ? Comment réussir sur ce créneau ? Enquête.

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Adieu veau, vache, cochon, couvée... Ces quelques mots issus d'une fable de La Fontaine, ­Philippe Conte aurait très bien pu en faire son slogan. À Paris en mai dernier, l'entrepreneur a en effet ouvert un commerce dont le concept existe déjà en Europe (Pays-Bas, Allemagne), mais d'un genre nouveau en France : une boucherie sans viande. Dans sa "Boucherie Végétarienne", les steaks, nuggets et boulettes sont à base de protéines de soja, de froment ou autres substituts. " Nous avons ouvert ce commerce car les habitants de la planète ne peuvent pas continuer à manger autant de viande qu'aujourd'hui ", explique Philippe Conte.

Le pari de la nouveauté, à l'heure où les consommateurs sont de plus en plus exigeants avec le contenu de leur assiette. " Il y a d'abord eu un mouvement vers les "alicaments" (aliments présentés comme excellents pour la santé), puis vers les produits naturels, observe Xavier Terlet, fondateur de XTC World innovation, cabinet de conseil en innovation alimentaire. Aujourd'hui, nous mangeons trop salé, trop sucré. Pour y faire face, depuis une dizaine d'années, les consommateurs se tournent vers les produits gardant leur naturalité mais auxquels a été enlevé un composant susceptible de poser ­problème. Leur mot d'ordre est le plaisir, sans nuire à la santé. " D'où un engouement, poursuit l'expert, pour les produits allégés, où le sel et le sucre, par exemple, sont remplacés par d'autres exhausteurs de goût (graines, fruits secs...).

" Il y a eu une tendance de fond qui visait plutôt à supplémenter des produits avec des vitamines, des minéraux. Aujourd'hui, on observe un retour à la naturalité. Les fabricants sont plus enclins à enlever ce qui n'est pas bon qu'à ajouter " , confirme Thomas Paschal, directeur de la BU Agro d'Alcimed, société de conseil en stratégie notamment spécialisée en agroalimentaire.

"Un business à la marge"

Une évolution des attentes alimentaires que les restaurants et commerces de bouche doivent prendre en compte s'ils veulent trouver leur public. Mais toute la question est de savoir comment. Attention, avertissent d'emblée les experts, à ne pas se tromper de positionnement. " Je ne conseillerais à personne de créer un business exclusivement sur le "sans" car c'est à la marge. En revanche, il s'agit de proposer des produits moins sucrés ou salés afin de répondre à une demande " , explique Xavier ­Terlet, qui recommande de ne jamais perdre de vue les notions de convivialité et de plaisir.

Même mise en garde du côté de Thomas Paschal. " Il serait dangereux de se positionner uniquement sur ce créneau. L'offre, le sans gluten, par exemple, s'est beaucoup développée et est à présent accessible dans les supermarchés. Si le commerçant est le premier à se lancer sur sa zone, cela peut avoir du sens. Sinon, gare à la concurrence " , poursuit l'expert, qui met en avant un autre danger : le caractère éphémère du marché. Par exemple, moins de 3 % de la population est effectivement intolérante au gluten. D'autres, plus nombreux (environ 20 % en déclaratif), l'ont éradiqué de leur alimentation par choix. Mais s'ils changeaient à nouveau leurs habitudes, le marché s'effondrerait.

Visuel d'ouverture : une réalisation du restaurant Mon histoire dans l'assiette à Lyon (c) Mon histoire dans l'assiette

Découvrez en page 2 les secrets des commerçants qui réussissent

[Témoignage] Ses gâteaux allégés en sucre séduisent

Des gâteaux allégés en sucre et avec 30 % de graisse en moins, mais gardant leur bon goût. Voilà la promesse alléchante de la pâtisserie parisienne Eugène. Son fondateur, Christophe Touchet, s'est lancé sur ce créneau avec la volonté d'offrir aux personnes diabétiques une alternative gourmande.

Pour réussir, l'entrepreneur, lui-même diabétique, mise sur un concept 100 % dédié. Entouré d'un médecin et d'un nutritionniste qui le conseillent dans sa démarche, ainsi que d'un chef pâtissier, Luc Baudin, il élabore la recette de son succès : employer des produits à indice glycémique faible, remplacer le sucre par des substituts tels que des sirops, réduire les graisses et travailler sur les fibres présentes naturellement dans les aliments.

En parallèle, il forme son personnel de vente aux problématiques du diabète pour pouvoir répondre aux questions des clients.

" Nous refusons de dire n'importe quoi sur le sucre, nous ne le traquons pas à tout prix. Il y a une vraie démarche derrière notre concept. Pour le diabétique, c'est concret : quand il se pique le doigt, il ne faut pas que son taux de sucre ait augmenté ", explique, en substance, l'entrepreneur.

Objectifs atteints

Crédit photo : Kris Macotta

Crédit photo : Kris Macotta

Christophe Touchet

Une recette qui fait des adeptes : initialement visés, les diabétiques composent aujourd'hui seulement un tiers de la clientèle de la boutique, qui séduit aussi des clients du quartier ou lassés des produits trop sucrés.

Les objectifs de vente sont atteints avec 30 000 à 60 000 euros engrangés chaque mois, selon la période de l'année. Un succès auquel ont contribué les médias, " relais inattendu " , mais surtout une communication efficace reposant sur la promotion de produits " pour les diabétiques, mais aussi beaux, simples et gourmands " .

Une autre boutique a ouvert en septembre à Paris, dans le IVe arrondissement. Un développement en franchise est par ailleurs envisagé.

Repères

Raison sociale : SAS Eugène
Activité : pâtisserie
Siège social : Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
Année de création : 2014
Dirigeants : Christophe Touchet, 54 ans, et Luc Baudin, 28 ans
Effectif : 17 salariés dont 15 à temps plein
CA prévisionnel 2016 : 1,5 M€

Visuel d'ouverture : la pâtisserie Eugène (c) Facebook Eugène

Les secrets de la réussite

Pourtant, certains commerçants font ce pari. C'est le cas de Christine Delay qui, voilà trois ans, a ouvert à Lyon "Mon histoire dans l'assiette", un restaurant dédié aux personnes allergiques et intolérantes au gluten. Elle a ainsi banni de ses cuisines les 11 principaux allergènes (gluten, oeuf, lactose, ­arachides, fruits à coques...) " L'objectif était de pallier un manque et de démontrer que l'on peut faire de la cuisine normale, recréer du lien social et redonner confiance aux personnes malades ", explique la commerçante.

Pour réussir, elle mise notamment sur des produits frais et entièrement travaillés sur place, ainsi que sur une communication ouverte, puisque sa vitrine ne signale pas sa spécificité. Aujourd'hui, son restaurant est fréquenté aussi bien par les personnes malades que par les autres, des amis ayant souhaité revenir ou de simples passants. " Le restaurant a fonctionné mieux qu'espéré. Mais dans un contexte difficile (passage de la TVA de 5,5 à 10 % et pouvoir d'achat en régression), nous subissons le même choc que les autres restaurants ", témoigne celle dont le chiffre d'affaires a augmenté entre 2012 et 2013 avant de se stabiliser entre 2013 et 2014.

Surprendre les clients

De son côté, Philippe Conte, le nouveau "boucher végétarien", compte attirer le succès en misant sur plusieurs éléments : " la nouveauté, une certaine force dans la communication (l'oxymore de notre nom permet d'attirer l'attention), notre capital sympathie, une cible bien définie (les gens qui aiment le goût de la viande mais ne peuvent pas en manger), une spécialisation sur le créneau de la fausse junk food (burger, nuggets), à la fois régressif et déculpabilisant, et enfin un positionnement prix équivalent à celui des boucheries traditionnelles ", énumère l'entrepreneur, qui souligne enfin que " l'offre doit avoir une utilité sociale. Notre baseline : c'est bon pour nous, c'est meilleur pour le monde ".

Ayant bénéficié d'une bonne médiatisation au moment de son ouverture, Philippe Conte, confiant dans son concept, projette d'ouvrir une deuxième boucherie à Paris avant la fin de l'année, et réfléchit à mener une levée de fonds pour lancer une dizaine de magasins d'ici deux ans. " Si la boutique a joué sur le côté "bobo parisien" et a bénéficié de l'effet de surprise, il n'en reste pas moins vrai qu'aujourd'hui, les personnes amatrices de viande sont prêtes à manger moins mais mieux ", analyse Xavier Terlet, qui parie sur le soja, les microprotéines ou les légumineuses pour remplacer la viande.

Manger mieux mais moins ? " Le business d'avenir, ce sont les produits qui misent sur la modération et la naturalité. La modération est une tendance de fond. L'exclusion d'un composant est dangereuse ", conclut Thomas Paschal.

Découvrez en page 3 le témoignage (alléchant) d'un pâtissier

 
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