[Tribune] 5 leçons à tirer des créateurs du commerce moderne
Comment transformer son commerce de proximité en entreprise de croissance à dimension nationale voire internationale ? C'est à cette question que répond Jean Meilhaud, auteur de "Ils ont révolutionné le commerce", en s'appuyant notamment sur les parcours des inventeurs de la grande distribution.
Je m'abonneLa plupart des hommes qui ont créé le commerce moderne sont partis de rien. Inventeur du grand magasin avec " Au bon marché ", Aristide Boucicaut débute en vendant de la bonneterie sur les marchés de l'Orne. Félix Potin est employé dans une petite épicerie parisienne avant de se mettre à son compte.
C'est encore vrai aujourd'hui. Comme Edouard Leclerc qui, en 1949, met lui-même son huile en bouteille, Jeff Bezos, créateur du géant du commerce électronique Amazon, emballe lui-même, en 1994 à Seattle, les premiers livres qu'il expédie à ses clients.
De fait, si leurs parcours diffèrent, ces pionniers ont en commun, outre des qualités de visionnaire, une approche du commerce combinant ambition, audace et agilité. Inspirés par eux, voici cinq principes à mettre en oeuvre pour transformer son petit commerce en entreprise de croissance à dimension nationale voire internationale.
1. Voir grand
Comme leurs moyens sont modestes, tous gèrent à l'économie. Mais, d'emblée, ils voient grand. Le premier, Aristide Boucicaut mise sur les quantités pour compenser la faiblesse de ses marges. Les créateurs de la grande distribution, comme Marcel Fournier et les frères Defforey, fondateurs de Carrefour, ne raisonnent pas autrement. Et Franz Van Den Hoff, le jésuite qui invente le commerce équitable dans les années 1980, passant outre l'opposition des intégristes du mouvement, décide de recourir à la grande distribution. C'est le seul moyen d'acquérir une dimension significative.
Pour accélérer son développement, le commerçant qui a une bonne idée dispose désormais d'outils efficaces. La franchise est le plus utilisé. Elle a été inventée vers 1880 à Rochester (Etats-Unis) par Martha Harper, une coiffeuse qui lança une chaîne mondiale de 500 salons de coiffure à son nom. Elle en a défini les grandes lignes : le franchiseur apporte au franchisé, contre rétribution, sa connaissance du marché, sa marque et ses méthodes. Le franchisé investit financièrement dans l'opération et n'est pas un salarié mais un véritable entrepreneur. La franchise connaît actuellement un développement considérable
2. Sortir du cadre
Il faut se méfier des modes. C'est ce que souligne Bernardo Trujillo, surnommé le pape de la grande distribution, formateur qui a accueilli dans ses stages, et avant qu'ils ne deviennent célèbres, des hommes comme Marcel Fournier, Gérard Mulliez, Bernard Darty et bien d'autres. Il dénonce le panurgisme qu'entraîne le succès d'une formule. On risque l'embouteillage alors que s'offrent des opportunités à qui sait pratiquer le contre-pied.
3. Aller au-delà des évidences
Les évidences, même chiffrées, sont souvent trompeuses. Bernardo Trujillo observe ainsi que " tous les bilans sont faux car ils ne prennent pas en compte les ventes qu'on a ratées ". Et que si la démarque inconnue, c'est-à-dire la fauche dans les rayons, est un fléau il ne faut pas se réjouir trop vite si elle est faible. C'est peut-être parce que les produits sont peu attractifs ou difficilement accessibles !
4. S'adapter
Il n'est pas nécessaire de bâtir des empires pour réussir son entreprise commerciale. De Fauchon à Gibert Jeune, des établissements de dimension relativement modeste ont conquis la notoriété et assuré leur pérennité, sans toujours éviter les crises, mais en faisant un effort constant d'adaptation.
5. Allier l'audace et le bon sens
La recette des créateurs du commerce moderne, si tant qu'il y en ait une, c'est qu'ils marient l'audace et le bon sens. Comme Amazon, ils intègrent le numérique mais, en attendant que les drones soient opérationnels, ils recourent à des astuces pour assurer la livraison du dernier kilomètre. Ils utilisent les plus récents travaux de la psychologie et des mathématiques (les fameux algorithmes), mais sans renoncer aux recettes increvables, comme d'inviter leurs vendeurs à sourire en permanence (" même au téléphone ").
Ils remettent au goût du jour d'anciennes pratiques. Au lendemain de la dernière guerre mondiale, l'Américaine Brownie Wise a inventé les home parties, réunions de femmes au foyer, pour vendre les Tupperware (ustensiles de ménage). Après 1968, la formule semblait relever d'un féminisme désuet. Avec l'uberisation des activités, qui redistribue les cartes entre vie professionnelle et vie privée, Brownie Wise fait à nouveau figure de pionnière.
Dans le commerce, plus que dans tout autre domaine, il reste beaucoup à inventer mais aussi à réinventer.
L'auteur
Docteur en droit, diplômé de Sciences-Po Lyon, Jean Meilhaud a été grand reporter et rédacteur-en-chef adjoint de L'Usine Nouvelle. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages à caractère économique, dont Faux ! Les grands mensonges sur le travail et l'entreprise (Maxima, 2005).
Pour aller plus loin
Aristide Boucicaut (Le Bon Marché), Félix Potin, Edouard Leclerc... En démarrant petit, ils ont tous peu à peu bâti des légendes ou des géants du commerce. Dans Ils ont révolutionné le commerce, sorti en octobre 2016, Jean Meilhaud raconte leurs histoires, leurs parcours et les choix qui leur ont permis de se distinguer et de grandir. Autant de récits, riches en anecdotes, qui dessinent en filigrane les clés de réussite en la matière. Sont également à l'honneur : André et Edouard Michelin, André Citroën, le baron Bich (Bic), André Essel et Max Théret (Fnac) ou encore Ingvar Kamprad (Ikea).
Ils ont révolutionné le commerce, le Papillon Rouge Editeur, sortie octobre 2016, 264 pages, 19,90 euros