Le commerce durable... une tendance impulsée par les clients
Acheter plus utile, privilégier les produits locaux, préférer l'achat d'occasion. Les attentes des Français s'articulent autour d'une consommation raisonnée. Comment un professionnel peut-il tirer parti de cette nouvelle tendance? Et les commerçants sont-ils réellement prêts et armés?
Je m'abonneDes biscuits, du riz, des pâtes, du café ou encore des légumes secs joliment déposés dans des bocaux en verre sur des étagères. Un peu plus loin dans la boutique, des produits d'entretien et des savons à la rose ou à la verveine disponibles à la coupe ou en liquide. Éloigné de l'image que l'on peut avoir du vrac négligemment proposé dans des sacs tissés, le design de l'épicerie sans emballage Day by day est plutôt épuré, voire minimaliste. Les denrées sont achetées directement aux producteurs et présentées dans leur plus simple appareil. C'est justement ce qui plaît aux clients, qui utilisent leurs propres contenants ou les récipients mis gracieusement à leur disposition. Ici, on vend les produits en respectant la quantité demandée, ni plus ni moins.
Amandine Lagarde-David est à la tête depuis avril 2015 d'une boutique franchisée Day by day à Nantes. Un concept qui fonctionne plutôt bien, puisqu'elle prévoit de réaliser un chiffre d'affaires annuel prévisionnel de 300 000 euros. Selon elle, le succès de son épicerie en vrac repose sur le fait que les consommateurs " achètent uniquement ce qu'ils souhaitent et non plus des packs d'un kilo de nourriture, alors qu'ils ont besoin de moins ". Face à l'enthousiasme des clients, le réseau Day by day entreprend d'ouvrir 100 franchises d'ici à 2018.
Un Français sur deux déclare intégrer désormais dans ses achats la dimension sociale et environnementale
Une performance qui reflète une volonté de plus en plus croissante des clients de consommer plus juste et plus raisonnable. C'est ce que démontrent depuis deux à trois ans de nombreuses études. Un Français sur deux déclare intégrer désormais dans ses achats la dimension sociale et environnementale, quand ils n'étaient que 39 % à se dire concernés en 2004, selon l'enquête annuelle Ethicity-Greenflex sur le comportement des Français en matière de consommation responsable publiée en 2014. Plus d'un tiers des sondés (36 %) recherche des produits simples (plus 12 points par rapport à la précédente étude publiée en 2013) et "des gammes de produits moins sophistiqués", selon l'étude. Près d'un répondant sur deux (45 %) est ainsi conscient que l'individu est le premier acteur pour agir concrètement en faveur du développement durable, notamment via sa consommation.
Une évolution de la mentalité des clients
Pourquoi un tel changement ? "Pour la majorité, cette crise est aussi une crise "d'abus" et notamment de consommation excessive de ses dernières années", note à juste titre une étude publiée en juin 2013 par Altavia sur le comportement des consommateurs face à la crise. " Les Français supportent de moins en moins les déchets générés. En 2014, les ménages ont jeté entre 20 et 30 kg de nourriture par an dont 7 kg de produits emballés. C'est encore beaucoup mais la mentalité a fortement évolué par rapport aux années quatre-vingt-dix. Il existe une vraie attention et une volonté de n'acheter que la quantité que l'on consomme ", commente Nathalie Damery, présidente de l'Obsoco, l'observatoire société et consommation.
Des achats réfléchis qui poussent également les consommateurs à se tourner vers la location ou le troc d'objets. " Internet a eu une influence sur la montée en puissance du système collaboratif. Les Français ont soudainement connu Le Bon Coin et Blablacar. Cela a clairement marqué leur esprit. Ils ressentent désormais le besoin de retrouver du sens dans la relation à la société et dans leur acte d'achat ", confie Jean-Marc Megnin, directeur général de shopperMind du groupe Altavia, expert du retail et du marketing. Les Français commencent ainsi à s'adapter progressivement à une nouvelle culture de la consommation. Ils sont 35 % à considérer que l'usage d'un produit est plus important que le fait de le posséder, selon l'étude publiée par Ethicity-Greenflex.
Des commerçants encore trop frileux
S'il n'y a plus de doute sur l'appétence des consommateurs pour la tendance durable, les commerçants en sont-ils conscients et, surtout, sont-ils prêts à s'emparer du phénomène ? Les boutiques zéro déchet ou responsables vont-elles pousser comme des champignons ? Pas si sûr. " Les commerçants indépendants n'ont pas forcément saisi que ces démarches génèrent de l'empathie et permettent de développer leur business sur du long terme ", constate Jean-Marc Megnin.
Les commerces de proximité ont clairement une carte à jouer. À la différence de la grande distribution, ils sont créateurs de lien social.
C'est aussi l'avis de Gaëlle Le Roux, chargée de mission Économie sociale et solidaire à Lyon, qui a créé en 2010 le label "Lyon ville équitable et durable" pour favoriser le développement d'entreprises sur des secteurs d'activités écoresponsables. Près de 50 commerces de proximité (restaurants, traiteurs, épiceries, pâtisseries, boutiques de textile ou de décoration) font partie du label, aujourd'hui. " Les initiatives responsables n'en sont qu'à leurs débuts et, généralement, les offres alternatives restent marginales. Je constate que, bien souvent, ce sont les clients qui incitent les professionnels à pousser leur démarche plus loin " , confie Gaëlle Le Roux.
" Pourtant, les commerces de proximité ont clairement une carte à jouer. À la différence de la grande distribution, ils sont créateurs de lien social et peuvent éclairer ou éduquer les consommateurs à ces nouvelles pratiques ", relève Laëtitia Adhémar, directrice RSE au sein d'Altavia. Anne-Catherine Bley, gérante du Bar à soupes situé dans le XI e arrondissement de Paris, expérimente depuis sept ans des actions de réutilisation des emballages. Elle a décidé de donner un coup de pouce aux clients qui s'engagent, en leur offrant un dessert dès lors qu'ils rapportent 10 sacs en papier. Un consommateur sur deux se prête au jeu. La commerçante applique aussi une réduction de 20 centimes sur le prix d'une soupe si le consommateur lui restitue le pot en plastique. Elle tente par ailleurs de mettre en place une consigne sur les couverts. " Ce n'est pas si simple, car je dois m'équiper de couverts en dur et demander une consigne au client " , confie Anne-Catherine Bley.
Des actions facilement transposables
Si la logistique ou le manque de place sont parfois un frein pour les commerçants, des solutions peuvent être trouvées. Le fait de ne pas distribuer automatiquement des sacs, des couverts ou des serviettes est une action facilement applicable. " Un sac plastique blanc classique coûtant entre un et cinq centimes et un kit couvert jusqu'à 0,50 €, chaque unité non distribuée est une petite économie ", note Pauline Imbault chargée de projet au sein du réseau Zéro Waste. Cette initiative, qui ne nécessite aucun investissement matériel, peut avoir des retombées bénéfiques sur votre image, à condition qu'elle soit accompagnée d'une communication verbale auprès du client, doublée d'un affichage expliquant votre démarche. " Un commerçant peut également accepter des contenants personnels ou encore signaler aux fournisseurs les emballages superflus afin de les réduire. Cela leur procurera un gain de temps, puisque le déballage et le pointage des articles seront plus rapides. Il n'est donc pas si complexe de s'engager dans le développement durable sans pour autant bouleverser son organisation ", poursuit Pauline Imbault.
Pourquoi le démarrage est-il si long ? Une question de prise de conscience, sans nul doute. " La bascule culturelle n'a pas encore eu lieu, mais je compte beaucoup sur les jeunes entrepreneurs qui affichent une sensibilité au collaboratif et au durable totalement différente ", confie Jean-Marc Megnin. D'autant que les modèles de réussite français et internationaux, qui sont source d'inspiration, ne manquent pas. Les "Repair cafés", en premier lieu. Ces endroits imaginés en 2009 aux Pays-Bas, où il est possible de redonner une seconde vie à des meubles, des jouets ou des appareils, ont connu une croissance exponentielle. Il y en a aujourd'hui 750 disséminés dans 18 pays. Ce concept a été importé en France et a rencontré le même succès. Ils sont aujourd'hui près d'une cinquantaine.
Prenons également l'exemple de l'enseigne anglaise The Co-operative food, qui a conquis le coeur des consommateurs en décidant de soutenir des producteurs locaux et de sensibiliser les clients aux gestes à adopter au quotidien. Elle les incite notamment à préparer une liste avant de se rendre en boutique afin d'évaluer précisément les aliments dont ils ont besoin, et limiter ainsi le gaspillage. Autant d'actions abouties et bien relayées. La clé du succès passe sans nul doute par une communication ciblée et proportionnée à l'implication et l'engagement de l'enseigne.
Le témoignage de Christelle Bourreau, gérante d'une boulangerie à Marsilly
Christelle Bourreau est allergique aux boîtes plastique et aux cartons. " Je suis zéro déchet dans ma vie privée. J'achète en vrac dans les magasins bio avec un minimum d'emballage. Je tiens donc à appliquer ces valeurs dans mon commerce ", confie la gérante de la boulangerie Le festival du goût. Ses actions portent en premier lieu sur la limitation de la distribution de sacs. " Les clients ne se rendent pas compte de la provenance des sacs plastique. Il faut donc les sensibiliser et leur demander systématiquement s'ils souhaitent un emballage ", confie la commerçante. Pour stopper à terme leur distribution, elle a noué un partenariat avec un meunier, qui lui a offert 1 000 sacs en tissu. Lorsque les clients jouent le jeu et viennent acheter leur baguette avec un sac en tissu, Christelle Bourreau applique une réduction de 5 centimes sur le prix de la baguette. " 75 % de la clientèle est fidèle et approuve ma démarche, estime la gérante, qui reçoit dans sa boutique 400 clients par jour. Ça m'encourage donc à poursuivre mes actions ". Début juin, lors de la semaine du développement durable, la commerçante a ainsi économisé 1 680 emballages.
Deuxième initiative de Christelle Bourreau : la création d'un rayon vrac destiné aux amandes, à la farine de châtaigne ou aux fèves de tonka. " Les clients peuvent également acheter de la pâte à tartiner maison. S'ils rapportent le pot, on leur donne un euro ", poursuit la boulangère. Christelle Bourreau relaie sa démarche par des affiches dans la boutique et par une communication sur sa page Facebook. " Le plus difficile, lorsque l'on s'adresse à la clientèle, est de déclencher une prise de conscience, sans pour autant devenir trop insistant et la faire culpabiliser. " Pour que sa démarche fasse boule de neige, la dirigeante a convaincu, début juin, d'autres commerçants de son village (fleuriste, traiteur, restaurateur) de composter leurs déchets. Elle a pour cela demandé à son agglomération d'installer un composteur commun et de l'entretenir. Une implication qui a le mérite d'emballer durablement ses clients et ses confrères.