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[Dossier] Consommation responsable : le nouvel eldorado ?

Publié par Pierre Lelièvre le - mis à jour à
[Dossier] Consommation responsable : le nouvel eldorado ?
© Ceci & Cela (Toulouse)

Du commerce de bouche aux cosmétiques bio, à la vente de vêtements équitables en passant par la vente en vrac et le recyclage, la sensibilité écologique et responsable des consommateurs s'accentue avec le développement d'une offre dédiée. Au point de définir une nouvelle typologie de commerces ?

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"Notre idée est de proposer localement des solutions pour revendre les invendus", avance Charles Lottmann, cofondateur de l'épicerie "Nous antigaspi", récemment implantée à Melesse, à quelques kilomètres de Rennes (Ille-et-Vilaine). Ouverte le 4 mai 2018, "Nous" se veut une épicerie d'un nouveau genre, valorisant les invendus et les produits qui n'entrent pas dans le cahier des charges des distributeurs.

Calibrages hors normes, mauvais grammages, découpes imparfaites, anciens emballages, l'épicerie anti-gaspi se positionne comme une réponse à la masse de produits viables mais incompatibles avec les standards de la grande distribution. "En revalorisant ces produits qui ont été écartés des circuits de distribution, on participe à lutter contre le gaspillage et donc à protéger l'environnement", ajoute le cofondateur qui précise qu'ils sont vendus en moyenne 20 à 30 % moins cher que dans le circuit classique.

La lutte contre le gaspillage alimentaire semble ainsi, à travers cette initiative mais aussi à des dizaines d'autres en France, illustrer le développement d'un phénomène mêlant à la fois une évolution des modes de consommation et une adaptation de l'offre des professionnels.

"La tendance générale est au mieux manger, au mieux consommer."

Si 29 kg de nourriture sont gaspillés par personne chaque année selon l'Ademe, la prise de conscience des consommateurs s'inscrit dans un engouement pour des valeurs intégrées à l'économie circulaire. "Cela participe à enrichir la chaîne de valeur de l'entreprise", note Lucie Soulard, co-auteure de l'ouvrage intitulé Le Retail face aux nouveaux modes de consommations. S'adapter ou disparaître. "La grande distribution commence à se saisir de l'économie circulaire à l'image de certaines enseignes qui initient des programmes de dons des excédents de produits ou la mise en place de systèmes de récupération de bouteilles en plastique, par exemple."

Charles Lottmann et Vincent Justin, cofondateurs de Nous

Charles Lottmann et Vincent Justin, cofondateurs de Nous

Reste que le projet rennais suscite l'enthousiasme des habitants de ce territoire déjà engagé dans une démarche zéro déchet et pour lequel la Bretagne, berceau de l'agro-industrie française, semble pour le moins adaptée au projet. Le millier de clients qui se sont pressés lors des trois premiers jours suivant l'ouverture de l'épicerie Nous antigapsi ont fini de sceller les ambitions des deux dirigeants.

"Nous souhaitons créer un réseau de magasins au plus proche des territoires, c'est pourquoi nous ouvrons deux autres épiceries en propre d'ici la fin de l'année", précise Charles Lottmann qui espère une vingtaine de franchisés à horizon 2022.

Donner du sens à ses achats

Une initiative qui répond à une réalité toujours plus observée sur le terrain. Les consommateurs se montrent davantage demandeurs de produits sains pour leur santé, davantage respectueux pour la planète ou éthiques sur le plan de l'économie locale. "On est engagé dans un phénomène durable qui prend de l'ampleur, constate Nathalie Damery, présidente de l'Observatoire Société et Consommation (ObSoCo). Les consommateurs sont de plus en plus demandeurs et de nouvelles niches s'ouvrent."

Un sens donné à l'acte d'achat qu'elle explique par un recentrage des priorités des consommateurs. "Il y a une acceptation globale aujourd'hui chez le consommateur qui est de dire : "on ne peut plus consommer comme avant". La tendance générale est au mieux manger, au mieux consommer."

"La philosophie de la maison est de transmettre l'importance de bien manger et de respecter la planète"

S'il fallait un indice de cette sensibilisation croissante des consommateurs, la progression du marché du commerce équitable en France en serait un exemple. En 2017, les ventes de produits équitables ont atteint le milliard d'euros quand cette somme représentait la consommation totale du marché mondial il y a 15 ans, selon des chiffres récents du collectif Commerce équitable France.

D'autant que, "si l'industrie agroalimentaire réfléchit à produire en accord avec leur stratégie de communication", d'après Nathalie Damery, les consommateurs répondent favorablement à ces initiatives. Huit Français sur dix souhaitent bénéficier d'une offre plus diverse dans les supermarchés, les magasins de vêtements, les boulangeries, restaurants et cafés, selon un récent sondage OpinionWay/Max Havelaar, - montrant ainsi leur volonté de consommer autrement.

Une démarche aussi saisie par des indépendants, à l'image de François Pasteau, gérant et chef du restaurant parisien L'Épi Dupin. Depuis 23 ans, il s'attelle à promouvoir une cuisine écoresponsable tant dans le choix des produits - saisonnalité, circuits courts, produits bio, pêche raisonnée - que dans l'organisation de son entreprise à travers des gestes écocitoyens - tri des biodéchets, récupération des huiles, énergies renouvelables.

Une démarche avant-gardiste dans laquelle la place de l'humain et l'environnement guident le chef. "La philosophie de la maison est de transmettre à mes salariés, aux jeunes et aux consommateurs, l'importance de bien manger et de respecter la planète", explique François Pasteau.

François Pasteau

François Pasteau

Un profil type ?

Pourtant, consommer de manière responsable n'est pas pour autant une démarche globale et unifiée dans l'esprit du consommateur. Quand certains n'achètent que des aliments issus de l'agriculture biologique, d'autres le font plus sporadiquement ou privilégient les circuits courts, le recyclage ou le commerce équitable.

En réalité, deux grandes catégories de consommateurs se distinguent. D'une part, les convaincus que l'on pourrait presque qualifier de militants, "prônent un changement profond de la société". De l'autre, "le reste du panel se dirigera vers la consommation responsable si c'est bénéfique pour lui et qu'il s'y retrouve financièrement", analyse la présidente de l'ObSoCo.

Un constat renforcé par la diversité de profils mise en avant par une étude de GreenFlex et de l'Ademe. Sur les huit typologies de consommateurs, six se disent concernés par les questions de la consommation responsable soit près de 72 % des Français. Et chacun d'eux dispose de leur propre motivation basée sur l'environnement, le plaisir, le développement durable, le social, la biodiversité ou même le pragmatisme. Une diversité consolidée par l'état de "radicalisation" des deux extrêmes : les néoactivistes (9 %), qui jouent un rôle d'influence, et les non-impliqués (28 %), freinés par l'aspect financier.

"On est face à un paradoxe, concède Nathalie Damery. D'un côté, on voit le désir d'une consommation frénétique illustrée par les soldes ou le Black Friday avec des prix très bas et de l'autre un désir de consommer mieux." Une dichotomie entre accumulation et consommation responsable qui s'explique, selon elle, par "l'irrationalité des choix du consommateur. Ce ne sont que des séries d'arbitrage individuel". "En tant que consommateur, on fait des choix qu'on pondère en fonction de valeurs mais aussi et surtout en fonction du porte-monnaie", ajoute Rodolphe Cotelle, dirigeant du cabinet Solidere Conseil.

"Le vrac et le zéro déchet s'affichent comme des solutions intéressantes et porteuses"

Emmanuel Grimault / Andia.fr

Emmanuel Grimault / Andia.fr

Du bon, du bio, du vrac et sans déchet ! Voilà le concept de l'épicerie toulousaine Ceci & Cela. Une offre novatrice qui a vite conquis les Toulousains au point que sa fondatrice, Louise Cardona, a décidé d'ouvrir un deuxième point de vente dans la ville rose. "Nous proposons des produits bio et locaux vendus en vrac et en consigne. Le but du jeu est de limiter au maximum les déchets, en ayant une approche intégrée qui fait travailler près de 80 producteurs et fournisseurs de la région", raconte-t-elle.

L'assortiment s'étend même à la cosmétique, à l'hygiène et aux produits ménagers. "On peut faire toutes ses courses sur le mode du zéro déchet", argue-t-elle. "Il y a une vraie prise de conscience des consommateurs sur l'environnement et le climat. Le vrac et le zéro déchet s'affichent comme des solutions porteuses", ajoute la gérante qui organise des ateliers hebdomadaires pour créer du lien social, fidéliser sa clientèle et créer de la convivialité.

"Le vrac et le zéro déchet s'affichent comme des solutions porteuses"

"Le désir de transparence apparaît également chez les consommateurs qui sont de plus en plus méfiants. Ils ont besoin d'informations sur ce qu'ils achètent. Avoir une structure à taille humaine apporte cette proximité et rassure", témoigne celle qui veut aujourd'hui pérenniser les deux boutiques et ouvrir un troisième point de vente. Si elle a su séduire une clientèle en demande, Louise Cardona a même attiré de nouveaux concurrents.

Repères :
Raison sociale SARL Ceci & Cela
Activité : Épicerie bio et vrac
Date de création : 2016
Ville : Toulouse (Haute-Garonne)
Gérante : Louise Cardona, 28 ans
Effectif : 5 salariés
CA 2017 : NC


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Le bio, tête de gondole

Si le marché du bio illustre cette tendance grandissante, il se positionne comme la tête de gondole de la consommation responsable. La progression de la consommation de produits bio depuis 2011 est exponentielle : 73 % des consommateurs ont consommé bio au moins une fois par mois en 2017, contre 40 % en 2011. Mais l'alimentaire n'est pas le seul secteur à voir le bio prendre de l'ampleur.

Selon la société de conseils aux industries de produits organiques Ecovia Intelligence (ex-Organic Monitor), la France est le deuxième marché européen (environ 450 millions d'euros) de la cosmétique certifiée naturelle et biologique, derrière l'Allemagne. Le marché français progresse de 6 à 8 % chaque année. Rien de surprenant, donc, d'observer un nombre croissant d'instituts et de centres de soin miser sur l'utilisation et la vente de cette typologie de produits.

Un choix fait par Mélodie Munier qui a ouvert M Institut, un salon "éthique et esthétique" à Montpellier à l'automne dernier. Consciente des bienfaits des produits cosmétiques naturels et biologiques, la jeune femme défend surtout un réel engagement pour apporter un service de soin de beauté le plus sain possible. "Je travaille avec une gamme de produits bio fabriqués à partir de produits naturels et de plantes médicinales cultivées en biodynamie", explique-t-elle.

À l'instar de la cosmétique, l'habillement se positionne également sur le créneau. Signe de cette implication du secteur textile, il n'est plus rare de trouver en boutique des vêtements en coton bio, en chanvre ou dont la fabrication se veut plus respectueuse pour l'environnement et les hommes.

"On propose une alternative crédible pour changer nos habitudes de consommation et être en phase avec nos valeurs et nos convictions", explique Claude Charbuillet, cogérant de Monde éthique, une boutique lyonnaise d'articles de modes éthiques, véganes, made in France ou écologiques. Sacs en chambres à air recyclées, chaussures, cosmétiques et bijoux fabriqués éthiquement, vêtements en coton bio ou en chanvre, "on peut consommer différemment en ayant un look sympa et branché", défend-il. Autant d'exemples qui illustrent cet engouement des consommateurs et le virage saisi par certains secteurs d'activité. De quoi inciter les commerçants à s'emparer du créneau ouvert par des clients à la recherche d'un nouveau sens dans leurs pratiques de consommation.

Un créneau porteur ?

"De nouveaux modes de consommations émergent, portés par des considérations à la fois environnementales et économiques, et l'économie circulaire s'impose comme une alternative au gaspillage et à l'épuisement des ressources. L'ère n'est plus à la possession mais à l'usage, l'économie de partage et le marché de l'occasion explosent et deviennent des attentes fortes de la part des consommateurs vis-à-vis des marques", écrivent Estefania Larranaga et Lucie Soulard dans leur ouvrage. Serait-ce donc un enjeu tant pour les marques que pour les commerces d'intégrer ces nouvelles attentes dans leur modèle de développement ?

"Il faut une démarche cohérente et une stratégie aboutie"

Les consommateurs partagent surtout leur désir de consommer toujours plus sainement. Un Français sur deux dit vouloir trouver plus de produits bio chez les artisans et commerçants, d'après le baromètre 2018 de l'Agence Bio.

Attirer, se démarquer et fidéliser, le triptyque auquel sont confrontés les professionnels reste finalement assez classique. "On constate que ce qui a été longtemps marginal ne l'est plus aujourd'hui, fait savoir Lucie Soulard. Il y a de plus en plus d'offres bio ou vrac en GMS, ce qui illustre cet engouement certain des consommateurs mais également des professionnels."

"Respecter l'environnement est un moyen de se démarquer"

Lastage Concept

Lastage Concept

"Le respect de l'environnement et la volonté de le démocratiser forment les deux axes essentiels de notre marque", explique Romain Jamet, fondateur et gérant de la boutique Lastage Concept. Concepteur et vendeur de vêtements techniques éco-responsables dédiés aux sports nautiques, l'entrepreneur s'est lancé en 2008, bien avant que le phénomène de la consommation responsable ne soit si prisé. "Le grand public est aujourd'hui sensibilisé à ces enjeux, le marché est prêt, analyse-t-il. On est l'exemple concret que le respect de l'environnement est un moyen de se démarquer de la concurrence."

Confectionnés à base de coton bio ou de bouteilles plastiques recyclés, les produits vendus dans les deux boutiques de la marque et chez près d'une trentaine de revendeurs cartonnent. "On est sur plus de 50 % d'augmentation de l'activité en 2017", ajoute Romain Jamet expliquant avoir signé, cette année, avec les Galeries Lafayette pour élargir ses canaux de ventes. Une distribution cross over qui n'empêche pas le gérant de privilégier la vente en circuits courts. Un filon qui séduit d'autant que sa clientèle ne se compose pas que de "convaincus". "On touche aussi une cible plutôt orientée mode qui est séduite par le concept". Et si l'éthique devenait chic ?

Repères :
Raison sociale : SARL Earth Distribution
Activité : Fabrication et commercialisation de vêtements de sport techniques écoresponsables
Date de création : 2008
Villes : Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) et Guidel (Morbihan)
Dirigeant : Romain Jamet, 33 ans
Effectif : 3 salariés
CA 2017 : NC

Besoin de cohérence

"Les consommateurs apprécient les professionnels qui défendent des valeurs et qui sont engagés"

Se lancer sur le marché suppose malgré tout de bien définir son modèle économique, met en garde Rodolphe Cotelle : "C'est un créneau porteur puisque l'attente des consommateurs est forte. Néanmoins, l'exigence pour se faire une place est d'apporter quelque chose en plus. Il faut une démarche cohérente et une stratégie aboutie comme proposer de l'écopackaging par exemple." Une responsabilité et une logique que fait Mélodie Munier jusque dans le choix des produits d'entretien et de son fournisseur d'énergie qu'elle a choisi renouvelable. "Quand je me suis lancée, je me suis dit qu'il y avait besoin d'une cohérence. Si c'est juste pour être à la mode, ce n'est pas la peine", précise-t-elle, pointant que le faible surcoût n'est pas un problème.

Autre exemple que celui de François Pasteau d'ouvrir l'Épi Malin, une boutique-traiteur, attenante au restaurant, pensée sur le même concept mais dédiée à la vente à emporter. "Je voulais aussi montrer qu'avec une version snacking-fast-food, on peut s'alimenter sainement à des prix raisonnables". Un moyen de compléter l'offre et d'attirer une nouvelle cible de prospects. Pour réussir à s'inscrire sur le créneau de l'écoconsommation, Lucie Soulard avance même qu' "encourager des gestes écoresponsables permet de fidéliser la clientèle. Les consommateurs apprécient les professionnels qui défendent des valeurs et qui sont engagés".

Loin des effluves marketing dont fait parfois preuve la grande distribution, certains se disent convaincus de leur rôle. "On ne s'est jamais dit que c'était un filon, fait part Claude Charbuillet. C'est simplement la réponse à un choix et à des réflexions personnelles".

"Je ne le fais pas dans un but marketing, abonde François Pasteau. L'idée est que les gens qui viennent repartent en se sentant interpellé, sensibilisé avec un début de réflexion sur leur rôle comme consommateur. Chaque consommateur a un réel pouvoir, celui de pouvoir s'opposer et dire non si ce qu'on lui propose ne lui convient pas."

Un libre-arbitre suffisant pour transformer en profondeur notre modèle de consommation ? Ou faudrait-il alors que les marques et les commerçants changent radicalement leur offre pour forcer le consommateur à acheter autrement ? Une pratique encore trop marginale qui nécessite néanmoins de s'y intéresser.

Pour approfondir :

Boostés par l'émergence de nouvelles considérations économiques et environnementales, de nouveaux modes de consommation s'installent. Ce livre explore ces évolutions et propose des solutions concrètes aux marques.

Estafania Larranaga et Lucie Soulard, Le Retail face aux nouveaux modes de consommation. S'adapter ou disparaître, Éditions Dunod, Coll. Marketing/Communication, mars 2018, 23 euros.


 
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