Ville du quart d'heure : nouveau rythme pour nouvelle vie ?
Dans un contexte économique, écologique et social aussi instable que sensible, le concept de ville du quart d'heure engage un dialogue autour d'un nouveau format urbain. Au point de devenir la norme ? Focus sur les enjeux du phénomène et la place des entrepreneurs dans le paysage.
Je m'abonneSamedi 22 janvier 2021, douze écoles parisiennes font "cour ouverte" pour les habitants des quartiers concernés. But de la démarche: transformer ces espaces en des lieux de vie associative hors les murs et rendre accessibles de nouvelles oasis urbaines lorsque ces établissements sont inoccupés. Ce qui pourrait sembler n'être qu'une initiative locale s'inscrit en réalité dans une approche globale baptisée "ville du quart d'heure", concept imaginé par Carlos Moreno, expert villes et territoires de demain. Un phénomène qui fleurit partout dans le monde.
De Madrid à Seattle, en passant par Milan et Ottawa, les municipalités du C40 (réseau des villes engagées pour le climat) ont adopté ce principe afin de booster la sortie de crise et favoriser une relance verte.
Point de départ
Concrètement, il s'agit de rapprocher dans un rayon de 15 minutes à pied ou à vélo l'essentiel des activités du quotidien: se loger, travailler, s'approvisionner, se soigner, s'éduquer et s'épanouir. En 2015, lorsque le spécialiste de la smart city théorise le sujet, il est essentiellement question d'apporter une réponse concrète face à l'urgence climatique et d'améliorer la qualité de vie des habitants des villes. Le principal enjeu étant alors de privilégier la mobilité douce afin de réduire la pollution engendrée par l'automobile et de désaturer les transports en commun.
Cinq ans plus tard, les restrictions occasionnées par la pandémie mondiale ont permis de pousser la réflexion dans ce sens. Avec le développement accéléré du télétravail, force est de constater que le concept de ville du quart d'heure vise juste sur cet aspect. "Au début de mes travaux, on me disait que c'était utopique, avoue Carlos Moreno. C'est devenu une donnée stratégique depuis la pandémie. Le "pyjama working " n'est évidemment pas la solution. Nous nous dirigeons vers une décentralisation du travail. Parallèlement, c'est l'occasion de développer une proximité heureuse et la possibilité pour une ville de devenir polycentrique et multiservicielle."
Des intentions que Loïc Dosseur, directeur général de Paris&Co, agence de développement économique et d'innovation de Paris et de la métropole, observe depuis quelques années: "On voit de plus en plus apparaître des solutions qui se situent dans cette logique du traitement de la proximité. Cela se ressent dans les questionnements des grandes entreprises, des acteurs publics et territoriaux, ainsi que dans le cheminement des entrepreneurs dans la construction de leur projet." L'idée ne vient donc pas de germer, nous ne partons pas de zéro, mais une prise de conscience plus forte semble aujourd'hui s'opérer. D'autant qu'il y a urgence : nos villes sont loin d'être résilientes.
Variations
Parce que chaque ville possède son propre ADN, il serait hasardeux d'avancer un modèle de ville du quart d'heure unique. Des applications pouvant même varier d'un quartier à l'autre. "Le modèle de ville intelligente a causé énormément de dégâts. Le copier-coller ne rend service à personne, affirme Carlos Moreno. Il existe de bonnes pratiques sources d'inspiration."
Ainsi, pour les villes de faible ou moyenne densité, là où la géographie par usage (habitation, bureaux, commerce) est encore plus imprégnée, il est question de territoire de la demi-heure. Il s'agit bien alors de prendre en compte les spécificités en place, mais gare à la gentrification des lieux! "La démarche doit être impulsée à travers une politique locale et évaluée avec les bons outils de régulation, poursuit Carlos Moreno. Il ne faut pas que cela devienne un quartier privilégié par rapport à un autre et créer de nouvelles inégalités, là où l'on souhaite faire tout le contraire."
En théorie, le concept évoque quatre piliers: la proximité, l'écologie, la solidarité et la participation. Dans la pratique, en réalité, c'est une autre musique. De l'avis de Loïc Dosseur : "Personne ne sait vraiment comment y parvenir ! Il existe une boîte à outils, elle s'enrichit et se consolide. Mais il faut s'autoriser l'expérimentation et l'échec. C'est cela qui va permettre de créer les bons outils. En réalité, ce serait presque dangereux s'ils existaient déjà, cela signifierait qu'on aurait à nouveau rigidifié le système. Il faut conserver un certain nombre de blancs juridiques afin de consolider les innovations éprouvées. Nous savons tester et évaluer les projets, individuellement et en macro. Nous regardons plusieurs réponses à une problématique pour en extraire ensuite les outils d'aide à la décision à destination des acteurs publics et privés."
Témoignage
" Des systèmes qui anticipent les questions "
Sandra Fives CEO et cofondatrice de Urbanomy
Parmi les impératifs de 2021: diminuer les consommations énergétiques et les émissions carbone. C'est dans ce but que Sandra Fives, Lucie Raty, Benjamin Mousseau, trois anciens d'EDF, ont mené un projet intraprenarial et lancé en janvier 2020 Urbanomy. Filiale du groupe énergétique, la start-up propose une offre de conseil avec une approche urbaine, comme l'explique Sandra Fives, CEO : "Urbanomy présente une vision intégrée des espaces urbains. Nous imaginons des systèmes énergétiques et de mobilité qui répondent à une problématique, les dimensionnons en fonction et aidons les parties prenantes dans leur projet afin d'anticiper les questions qui vont survenir."
Une expertise clé pour la concrétisation de la ville du quart d'heure, dont l'un des casse-tête est justement la mixité des usages. Urbanomy accompagne ainsi le comté d'Oxforshire (Royaume-Uni) dans le développement d'un écovillage, notamment en insérant une couche de mobilité électrique, dans un scénario zéro carbone. Gains escomptés: décongestionner les transports, combattre des déserts ruraux, re-cartographier le territoire.
La start-up mène sa mission auprès de l'autorité publique et veille à intégrer le réseau d'associations locales. "Les initiatives territoriales sont poussées par les habitants et les tissus associatifs. Ce sont les premiers concernés qui challengent le plus l'aménageur." En Allemagne, Urbanomy intervient plus en amont, précisément auprès de l'entité en charge de la standardisation des nouveaux quartiers intelligents. "À travers le normatif, on peut influencer pour que des thématiques telles que la ville du quart d'heure devienne une norme régulatrice. Le push politique est important, mais si les règles d'urbanisme intègrent ces notions, tous les prochains projets tiendront compte de ces normes ", développe Sandra Fives. Dublin l'a déjà fait. Quel autre pays suivra le modèle?
Urbanomy
Conseil en planification urbaine et énergétique
Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
Sandra Fives, CEO, 34 ans
SAS > Création en 2020 > 8 salariés
CA 2020 : NC
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