Jérôme Gardon (Fromagerie Gardon) : "Nous faisons notre métier simplement !"
À La Chapelle-Laurent, dans le Cantal, la fromagerie Gardon se transmet de père en fils depuis trois générations. Sa boutique en vente directe, ouverte dès les années soixante-dix, n'a pas attendu la mode des circuits courts pour vendre fromages et produits locaux. Et ça marche !
Je m'abonneQuelle est l'origine de la fromagerie Gardon ?
Jérôme Gardon : La fromagerie a été créée en 1935 par mon grand-père, je suis la troisième génération. Mon grand-père avait des parents boulangers, sauf qu'il était allergique à la farine. Il n'a donc pas pu reprendre la boulangerie familiale et il s'est lancé dans le commerce de gros, en récupérant les excédents de beurre et de crème dans les fermes familiales alentours. En 1970, mon père et mon oncle ont repris l'entreprise.
Du fait de l'exode rural, les familles étaient moins nombreuses et ne produisaient plus de beurre ou de crème. Ils ont alors signé des accords avec des éleveurs locaux pour collecter le lait à dix kilomètres à la ronde et le transformer dans un atelier pour faire du Cantal.
Ont-ils fait évoluer l'offre de produits depuis cette date ?
Oui, ils ont voulu se différencier et se sont inspirés du temps où les agriculteurs faisaient leur fromage à la maison en créant le fromage de pays, le Chapelou, à base de lait de vache. Cette recette traditionnelle s'était perdue et ils l'ont remis au point dans les années quatre-vingt. D'année en année, les volumes de production de ce fromage ont augmenté.
Aujourd'hui, la gamme de fromages de pays, qui comprend aussi le Chapelou bleu (persillé, au goût bleu doux) et le fromage aux artisons, représente environ 350 tonnes de fabrication et de vente. Et nous avons lancé cette année une gamme bio, fabriquée à partir de lait cru bio de montagne, avec deux références.
Quand avez-vous intégré l'entreprise ?
Fils unique, je suis arrivé dans l'entreprise assez jeune, à 19 ans, quand mon père a pris sa retraite, car nous avions une différence d'âge de 45 ans. Depuis ma naissance, j'étais baigné dans la fromagerie. Au fur et à mesure des années, je me suis passionné pour ce métier. J'ai d'abord dirigé l'atelier de transformation, puis la totalité de l'entreprise en 2007.
Entré comme apprenti, j'ai repris mes études après avoir commencé à travailler, en suivant un BTS agro-alimentaire en formation continue à l'Ifria Auvergne, à Clermont-Ferrand. Puis j'ai obtenu un diplôme d'ingénieur agro-alimentaire à Agro-sup Dijon et Ensaia à Nancy pour m'apporter des compétences utiles à la direction de l'entreprise.
Comment l'entreprise s'est-elle développée ?
Nous vendons tous les fromages que nous produisons dans notre magasin de vente en direct, mais aussi à des grossistes. Le magasin a ouvert au début des années soixante-dix, dans la maison familiale, juste à côté de la cuisine. L'atelier de fabrication, lui, était au sous-sol. En 1984, le magasin est sorti de la maison familiale pour s'installer en face.
Nous avons construit à l'extérieur du village un atelier de transformation aux normes européennes, plus adapté en termes de conditions de travail. Nous essayons d'allier la tradition et la mécanisation, notamment pour les tâches répétitives. En revanche, le fromager conserve son savoir-faire pour transformer le lait en fonction des saisons, de la nature du lait et de l'alimentation des vaches, ce qui permet de conserver une régularité sur nos fromages.
Quelle part de votre chiffre d'affaires représente le magasin ?
Aujourd'hui, nous faisons 65 % de notre chiffre d'affaires en direct. Le magasin est ouvert tous les jours de 9h à 19h, sans interruption. Sa réputation s'est construite au fil des années, grâce au bouche-à-oreille, à la qualité des produits et leur régularité. Outre nos deux gammes de fromages, traditionnel et bio, nous proposons aussi du négoce d'autres fromages et de produits locaux, comme les lentilles du Puy, les lentilles blondes de Saint-Flour ou les bières locales.
Notre responsable des ventes est chargée de la recherche des fournisseurs et des produits locaux. Nous avons beaucoup de clients de passage, car La Chapelle-Laurent se situe à 10 km de l'A75. Les gens nous connaissent et viennent acheter nos fromages sur leur chemin en remontant du Sud de la France.
Quel est le secret d'un tel succès ?
Petit à petit, pendant toutes ces années, la réputation de la Fromagerie Gardon s'est créée naturellement, par le biais de l'accueil du client, du conseil au client et le service de proximité que nous offrons. Aujourd'hui, la proximité revient au goût du jour, le consommateur va chercher du conseil, la qualité du produit, le produit atypique. Nous, cela fait 40 ou 50 ans que nous le faisons ! En restant simples et en proposant des produits de qualité, mais aussi en veillant à l'accueil et au conseil du client, nous sommes restés depuis toujours sur le circuit de proximité et la vente directe. Nous faisons notre métier simplement !
Comment vous faites-vous connaître plus largement ?
Depuis quelques années, nous avons un site Internet qui présente la fromagerie et le magasin. Depuis 5 ou 6 ans, nous y avons ajouté un site de e-commerce permettant à nos clients de commander en ligne. Sur les réseaux sociaux, une page Facebook et Instagram permet à une certaine catégorie de clients et d'âge de ne pas nous oublier. Nous publions quelques publicités dans les magazines de camping caristes ou des offices de tourisme. Enfin, certains appellent la fromagerie pour connaître l'accès le plus simple. Nous sommes quand même en milieu rural, pas en centre-ville et il faut que les gens viennent exprès pour acheter chez nous.
Pourquoi un site e-commerce alors que vous vendez localement ?
Le site e-commerce est une demande des clients qui voulaient que nous leur expédions du fromage. Le fromage, on ne l'envoie pas comme une paire de chaussures, il faut quand même une chaîne de froid, une logistique ! C'est un service complémentaire pour nos clients qui passaient une fois dans l'année. Nous réalisons 4 % du chiffre d'affaires du magasin grâce au site marchand, qui connaît d'année en année, des progressions à deux chiffres. Cela permet aussi aux touristes qui ont goûté nos fromages sur les plateaux des restaurateurs de la région de nous les commander.
Qu'est-ce qui vous différencie des autres entreprises ?
C'est une vision différente de fonctionnement et de modèle économique, celui de l'entreprise familiale qui a des valeurs et qui, depuis des années, se transmet de mains en mains. Je gère les comptes de l'entreprise comme mes comptes personnels, en investissant fortement dans l'amélioration de l'entreprise. En ayant choisi de reprendre l'entreprise familiale, j'ai une responsabilité supplémentaire, car nos parents et nos grands-parents y ont passé beaucoup de temps et il est hors de question de tout faire capoter.
Une nouvelle gamme bio
La Fromagerie Gardon a récemment lancé une nouvelle gamme de fromages bio, avec deux références, le Cantalou (300 g) et la Tomme des trois sucs (2 kg), qui ont demandé trois ans de mise au point. Il s'agit d'une gamme à base de lait cru bio, avec une alimentation à base de foin et de pâturage uniquement, respectant un cahier des charges spécifique.
Un jeune éleveur de vaches laitières converti en bio, à 5 km du village, fournit quotidiennement 500 000 litres de lait pour la production. La certification bio a demandé des investissements importants pour l'entreprise, notamment afin d'assurer une collecte et un stockage séparé du lait bio, puis sa transformation en fromage.
Chiffres-clés
1998 : 1,5 M€ pour le transfert de l'atelier de transformation à l'extérieur du village, avec l'aide d'un crédit-bail de la communauté de communes qui a investi sur le bâtiment sur 15 ans.
2008 : 1,5 M€ pour regrouper transformation et conditionnement dans le même atelier, avec des aides de la région et de l'Union européenne de 200 M€.
2020 : 3,5 M€ de projet d'investissement pour la création d'une station d'épuration et une extension pour des caves d'affinage, plus récupération de chaleur pour optimiser les consommations énergétiques au niveau de la production de froid. Cet atelier doit être polyvalent pour pouvoir accueillir de nouveaux produits.
Repères
Raison sociale Fromagerie Gardon SARL
Activité Fabrication de fromage
Ville La Chapelle-Laurent (Cantal)
Date de création Avril 1971
Dirigeant Jérôme Gardon, 38 ans
Effectif 36 salariés
CA 2018 3,8 M€