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Emmanuel Barbe : "L'entreprise est un enjeu majeur pour la sécurité routière"

Publié par Julien van der Feer le - mis à jour à
Emmanuel Barbe : 'L'entreprise est un enjeu majeur pour la sécurité routière'

Prévention, pédagogie, limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires, voiture-radar... Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière, explique pourquoi la sécurité routière est un enjeu pour les TPE.

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13% des usagers tués sur la route en 2016 l'ont été lors d'un trajet professionnel. Comment faire baisser ce pourcentage ?

Emmanuel Barbe : C'est le rôle du chef d'entreprise de faire prendre conscience à ses équipes que le risque routier est réel. Il doit montrer l'exemple. D'autant plus dans les TPE. Plus une structure est petite, plus la sécurité routière est un enjeu pour elle.

C'est-à-dire ?

Quand vous avez deux ou trois collaborateurs, si l'un d'entre-eux se blesse ou, plus dramatiquement, se tue, l'impact sur le fonctionnement de l'entreprise est énorme. D'un point de vue humain, naturellement, mais aussi économique. Par exemple, un traiteur met son camion réfrigérant dans le fossé. Il n'y aura pas de mort mais l'entreprise ne peut plus livrer. En outre, vos primes d'assurance augmenteront et il faudra trouver un autre véhicule de livraison. Tout cela a un coût conséquent pour l'entreprise.

Quelle solution pour un petit patron ?

Il faut miser sur la prévention car le retour sur investissement est important. Quand vous investissez 1 euro en prévention, le retour est de 1,60 euro, selon les préventeurs. En plus, cela ne coûte pas forcément très cher. Je pense notamment à l'existence de MOOC très bien faits sur Internet.

Comment faire respecter ces bonnes pratiques à ses équipes ?

Le respect des règles et du code de la route doit rentrer dans le champ contractuel. Un patron ne peut pas dire que c'est optionnel. Par exemple, dans l'une des entreprises que j'ai visitée, il y a une consigne de sécurité qui est rappelée aux salariés tous les matins. Elle ne porte pas uniquement sur le risque routier. Mais cette pratique donne un signal fort à tout le monde : la sécurité, c'est important. Cette mesure est facile à mettre en oeuvre et ne coûte pas cher.

Selon vous, un salarié qui ne met jamais sa ceinture de sécurité devrait être licencié ?

C'est peut-être sortir les grands moyens. Mais je pense que l'on peut expliquer simplement, qu'au bout d'un moment, une procédure de licenciement sera engagée à l'encontre d'un salarié qui ne s'attache jamais. Naturellement, il y a des questions de rapport de force et ce n'est pas toujours facile, surtout dans les petites structures. Mais c'est un point important. Je pense que l'entreprise est un enjeu majeur pour la sécurité routière.

Sauf qu'il est souvent très difficile, dans les petites structures, de recruter de nouveaux salariés compétents et qualifiés...

C'est vrai. On peut toutefois essayer de faire comprendre aux salariés que les mesures de prévention et de sécurité existent avant tout dans leur intérêt. Pour faire simple : aucune TPE n'est morte au bord de la route en 2017, mais leurs salariés, oui.

Dans un autre registre, le principe de désignation n'est-il pas problématique dans les TPE ?

Peut-être. Mais un entrepreneur doit assimiler qu'un salarié qui perd systématiquement des points sur son permis de conduire adopte un comportement néfaste pour sa structure. Déjà, un VUL roulant à toute vitesse donne une mauvaise image de la société. Sans compter que le collaborateur dépense plus d'essence et use plus vite le véhicule.

De plus, selon les retours d'expérience dans les grands groupes, il existe une corrélation directe entre un salarié "pointivore" et une personne qui posera des problèmes dans l'entreprise. Enfin, en roulant vite, un salarié ne gagne quasiment pas de temps. C'est un risque inutile.

Cette mesure est-elle vraiment efficace ?

Nous avons constaté 11 % de flash en moins pour les véhicules d'entreprise depuis la mise en place de la désignation. Et ce, tandis que nous sommes en période de reprise, donc avec une circulation accrue sur les routes. Faire payer les points du permis de conduire a responsabilisé tout le monde.

Comment expliquez-vous que le message de la sécurité routière a du mal à passer ?

Ce n'est pas illogique. Grâce aux politiques menées par mes prédécesseurs, il y a aujourd'hui 3500 morts sur la route par an. Nous sommes rarement confrontés à un accident et cela rend les choses abstraites. Comme dit le proverbe : "quand on ne voit plus la maladie, on oublie le vaccin". En outre, les risques pris sur la route, et heureusement, n'ont presque jamais de conséquences. Les conducteurs ont alors tendance à être moins prudents.

Le problème ne vient-il pas aussi des polémiques politiciennes ?

Globalement, en France, le débat sur la sécurité routière est très passionné. Et ce, dans les deux camps. À la fois chez les pros et les anti sécurité routière. La voie de l'équilibre est difficile à trouver. Après, c'est un sujet où il y a de nombreuses fake news, de la désinformation et de la mauvaise foi.

L'autre difficulté, c'est que tous les conducteurs se sentent experts en accidentalité dès qu'ils roulent 30 000 km par an. Les Français confondent les milliers de kilomètres qu'ils font avec une véritable expérience de l'accidentalité. Et ils s'en remettent à leur propre analyse plutôt qu'à celle des experts. C'est un comportement totalement humain.

C'est le cas sur la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires ?

Tout à fait. C'est frappant de voir à quel point les arguments scientifiques qui l'appuient, et sont incontestables, ont du mal à trouver une caisse de résonance. Nous essayons de faire de la pédagogie et des campagnes de sensibilisation, mais c'est très difficile car le savoir en accidentologie est totalement contre intuitif. Concrètement, le passage à 80 km/h représentera de 300 à 400 morts en moins sur une année.

Reste que les trajets vont tout de même être plus long...

Cela dépend totalement du type de route que l'on fait. Sur l'autoroute et les routes rapides, cela ne sera pas plus long. Après, sur les routes bidirectionnelles qui ne traversent pas de ville, qui sont aujourd'hui limitée à 90 km/h, peut-être. À condition de rouler énormément toute l'année. Mais cela touche très peu de conducteurs.

En outre, je demande aux professionnels d'avoir une vision globale des choses : en roulant moins vite, il y aura des économies sur les consommables même s'il peut y avoir, pour certains, une petite perte de temps. Mais il n'y a que l'expérimentation qui sera vraiment probante.

Les VUL sont-ils dangereux ?

Selon un rapport du député Damien Pichereau, les VUL posent de nombreux problèmes. Tout d'abord, ils sont de plus en plus utilisés. Ensuite, les conducteurs ont tendance à ne pas s'attacher car ils livrent des produits. Il y a aussi, régulièrement, de la surcharge et un mauvais entretien. C'est certainement une classe de véhicule accidentogène.

Les voitures-radar "privées" auront-elles un impact sur les accidents de la route ?

Attention, les radars restent la propriété de l'État. Après, c'est la conduite qui a été externalisée car, à l'heure actuelle, les véhicules circulent peu. Personne n'a donc intégré que l'on pouvait être flashé en campagne. Nous espérons donc faire peur aux conducteurs en étant plus présent. Car si les personnes roulent moins vite, il y aura forcément moins d'accidents.

 
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