Les vraies raisons de privilégier les apprentis en entreprise
Recrutements efficaces, salariés rapidement opérationnels et taillés sur-mesure, échange de connaissances... les raisons de privilégier l'apprentissage en entreprise ne sont pas (seulement) financières.
Je m'abonneÉlévation des niveaux de formation, objectifs politiques ambitieux, image renouvelée : l'apprentissage redevient indéniablement une voie de formation professionnelle reconnue. Des propos, certes, élogieux, mais qui ne semblent pas discutables. C'est en substance ce qui est ressorti des rencontres nationales de l'apprenti, qui ont réuni, en décembre 2014, dirigeants, jeunes et experts. "L'apprentissage a beaucoup évolué depuis les années 70. Les personnes qui se tournent vers ce dispositif le font de moins en moins par défaut. Entre les années 1990 et 2005, la proportion des apprentis a doublé", commente Gilles Moreau, sociologue, professeur à l'université de Poitiers.
Quelle interprétation donner à cet essor ? Au-delà des incitations financières mises en place par les gouvernements pour doper le dispositif, les entreprises voient en l'apprentissage un moyen d'assurer des recrutements efficaces et, ainsi, pallier un manque ou une rareté de formations dans certains secteurs d'activité. L'argument économique est réel. L'étude publiée en juin 2013 par l'Ifop et l'Agefa PME montre que ce dispositif est perçu comme une source de recrutement avantageuse pour les dirigeants. Les apprentis sont jugés plus rapidement opérationnels par 90 % des sondés que les jeunes ayant suivi une formation générale, possèdent des compétences mieux adaptées aux besoins de leur entreprise (78 %) et s'adaptent généralement mieux aux règles de cette dernière (73 %).
"Le dispositif permet de former des collaborateurs sur mesure, qui deviennent rapidement productifs et aguerris aux méthodes de l'entreprise. Au cours de leur dernière année de contrat, ils sont à même d'effectuer les mêmes tâches qu'un autre salarié au même poste. C'est aussi une formidable opportunité de transmettre son entreprise dans de bonnes conditions, et d'envisager l'avenir avec sérénité", estime Bernard Andrieu, chocolatier basé à Poitiers. À 59 ans, ce commerçant a récemment cédé une partie des parts de sa société à Alexandre Gely, un de ses apprentis tout juste trentenaire, qu'il avait formé pendant plus de quatre ans.
Faire entrer de nouvelles idées
Pour l'entreprise, c'est également l'occasion de développer ses projets et d'accroître ses compétences internes. "Nous assistons au phénomène de la socialisation en retour. En d'autres termes, le sens de la transmission est inversé. L'apprenti, de par sa différence de génération et la multiplicité de savoirs qu'il engrange au sein du centre de formation des apprentis (CFA), va apporter des connaissances à l'entreprise", remarque Gilles Moreau.
Ces nouvelles ressources obligent l'entreprise à se réinterroger sur l'utilisation des nouvelles technologies et de nouveaux outils. "Nous sommes dans la génération du 3.0, résolument digitale et numérique. Les dirigeants sont confrontés au mentorat inversé. L'entreprise va utiliser les juniors pour apprendre aux plus âgés", confie Marie Desplats, consultante et coach chez CSP formation. Pour Bernard Andrieu, chocolatier qui a formé huit apprentis, depuis le début des années 2000, l'apprentissage est, assurément, une façon de rester à l'écoute des tendances du marché. "Les apprentis peuvent m'apporter une autre technique, un autre oeil, de nouveaux parfums, de nouvelles associations, donc une approche plus jeune du métier", insiste l'artisan, âgé de 59 ans.
Une façon, aussi, de responsabiliser ses équipes
Si les salariés deviennent, au fil du temps, efficaces, il ne faut pas prendre à la légère leur formation. "Le jeune doit être accompagné par un maître d'apprentissage ou le dirigeant, et non par un apprenti plus âgé, car il aura l'impression d'être dévalorisé. Un manque de suivi peut engendrer un désengagement de la personne", insiste Marie Desplats. Le fait de confier à un salarié la responsabilité de guider un jeune en devenant son maître d'apprentissage va valoriser ses compétences et ses connaissances et donc, par ricochet, devenir un outil de motivation et de fidélisation.
"L'entreprise constitue un repère important, rappelle Gilles Moreau. L'entrepreneur forme non seulement un professionnel, mais également un citoyen, à qui il va inculquer des règles de vie en société. La formule de la loi Astier de 1919, qui précise que l'apprentissage revient à former l'homme, le travailleur et le citoyen, prend ici tout son sens". Pour favoriser l'intégration et la montée en compétence des apprentis, vous devez parvenir à établir le dialogue et à le maintenir. "Les jeunes sont très sensibles à l'iniquité. Beaucoup se plaignent des injustices ou des patrons qui s'énervent sans en expliquer les raisons", constate Gilles Moreau.
Tâchez également, dans la mesure du possible, de solliciter l'avis de vos apprentis. Selon Marie Desplats, "les jeunes ne sont plus prêts à recevoir un management autocratique. Ils souhaitent participer aux prises de décision". Une évolution liée aux nouvelles pratiques éducatives des parents. "Nous sommes passés de l'autorité d'un père à un dialogue où tous les membres de la famille se réunissent pour donner leur avis. Les jeunes importent dans l'entreprise ces valeurs, qui sont devenues des habitudes. Ils sont souvent prêts à s'interroger, à suggérer, ce qui ne doit pas systématiquement être perçu comme de l'insubordination".
L'expérience de l'apprentissage est, d'ailleurs, rarement une déception, pour les dirigeants. Toujours selon l'étude Ifop-Agefa PME, 86 % jugent que l'aventure a été positive.
Il assure la relève en misant sur ses apprentis
Laurent Rigaud a le goût des défis. Son plus grand challenge? La formation d'apprentis. Il en a formé 139 en 25 ans. C'est même grâce à eux qu'il a réussi à faire fructifier ses différents commerces et pérenniser ses activités, puisqu'il a cédé trois de ses anciennes boutiques à ses apprentis. Depuis 2009, il est à la tête d'une boucherie basée en Alsace. Lorsqu'il a pris les rênes de l'entreprise, ils n'étaient que trois. Aujourd'hui, ils sont 15 salariés dont six apprentis. "Nous manquons de candidats bien formés, dans la boucherie, et en formant mes apprentis, je suis certain d'avoir des salariés qualifiés et compétents", confie Laurent Rigaud. Ils ont tous débuté un CAP en poche, et ont évolué chacun en fonction de leurs compétences et leurs domaines de prédilection.
"Évidemment, la formation prend du temps. Il faut entre quatre et six ans pour qu'un apprenti soit totalement formé. Mais s'il est motivé, il peut très vite prendre du galon", poursuit Laurent Rigaud. Selon lui, il est essentiel de ne pas leur confier des tâches répétitives. "Ils peuvent aussi bien tour à tour ficeler des paupiettes, mettre en route un rayon ou avoir la responsabilité de ranger la chambre froide", renchérit le gérant. Dans sa boutique, un apprenti peut gagner au bout de quatre ans 1?400 € nets mensuels. Et peut rapidement devenir responsable du magasin ou du laboratoire pour un salaire de 2000 euros nets par mois. C'est le cas de Sylvain, qui forme aujourd'hui des apprentis. La relève est à coup sûr assurée.