[Tribune] Pourquoi l'instauration d'une instance de dialogue social dans les réseaux de franchises pourrait fragiliser le secteur
Le décret qui impose l'instauration d'une instance de dialogue représentative du personnel dans les réseaux de franchisés a finalement été publié. Au-delà d'une mise en place complexe, il pourrait remettre en cause l'équilibre de cet écosystème singulier.
Je m'abonneLa veille de l'élection d'Emmanuel Macron, un décret d'application de la loi El Khomri est passé in extremis et (presque) inaperçu au Journal Officiel. Il impose l'instauration d'une instance de dialogue représentative du personnel dans les réseaux de franchises de plus de 300 salariés franchisés.
Que prévoit l'article 64 de la loi Travail ?
L'instance de dialogue social prévue par l'article 64 de la loi El Khomri n'a pas de véritable prérogative en matière de négociation syndicale. Davantage prospective, elle est une sorte de "boîte à idées" permettant aux représentants des salariés de formuler des propositions de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés du réseau des franchisés, sans passer par l'intermédiaire d'une organisation syndicale.
Elle s'apparente à un comité d'entreprise ayant pour but d'informer les salariés deux fois par an des décisions du franchiseur de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, les conditions de l'emploi, de travail et de formation professionnelle.
Des conditions de mise en place complexes précisées par le décret
Le décret du 6 mai dernier apporte des contraintes supplémentaires en donnant un rôle aux organisations syndicales dans la mise en place du dispositif. Il est en effet spécifié que l'instance représentative du personnel doit relever d'une organisation syndicale représentative de la branche ou de l'une des branches des entreprises du réseau. Ce qui complexifie considérablement les relations au sein des réseaux de franchisés. Car c'est à la demande de l'organisation syndicale que pourront être négociées les modalités de mise en place de l'instance représentative du personnel.
Et c'est à un groupe de négociation, constitué par la tête de réseau dans les deux mois qui suivent la demande, qu'il revient de trouver un accord sur les conditions de mise en place de l'instance (représentativité, fonctionnement).
Composé de deux collèges de salariés et d'employeurs, ce groupe a six mois pour y parvenir et le faire ratifier par le franchiseur, le syndicat représentatif et des employeurs devant représenter au moins 30 % des franchisés et des salariés du réseau. Si la négociation ainsi lancée échoue, l'instance de dialogue social, dont la loi prévoit qu'elle se réunira deux fois par an, sera néanmoins mise en place selon des modalités que précise le décret.
Une source de coût supplémentaire pour les entreprises
Sur le plan budgétaire, le coût de la mise en place de la mesure sera pris en charge par le franchiseur (frais de séjour et de déplacement des représentants des salariés et des employeurs, dépenses de fonctionnement de l'instance). Ce dernier pourra cependant demander aux entreprises de son réseau d'y contribuer pour moitié au prorata de leurs effectifs.
Source de complexité, la nouvelle instance de dialogue remet en cause le modèle des réseaux de franchisés qui jusqu'à présent reposait sur une certaine liberté. Soutenu par la CFDT qui y voit une opportunité de progrès social, l'article 64 de la loi Travail est perçu par les têtes de réseaux et les franchisés comme une remise en cause de leur modèle. Alors que le contrat de franchise repose sur l'indépendance de chaque entité, l'instance de dialogue instaure une relation directe entre franchiseurs et franchisés et transforme par conséquent les franchiseurs en co-employeurs.
Le développement des réseaux pourrait pâtir de ce qui est perçu comme de nouvelles contraintes (et des coûts supplémentaires), le monde de la franchise étant resté attractif auprès des entrepreneurs grâce à la réputation de souplesse de son régime. Fustigé par la Fédération Française de la Franchise, le décret d'application est en outre loin d'être exhaustif et les entreprises auraient tout intérêt à s'emparer dès à présent du sujet et de saisir toutes les opportunités pour faire naître une contestation sur la mise en application du dispositif. En attendant peut-être que la nouvelle majorité à l'Assemblée Nationale n'enterre cette loi avant que celle-ci n'engorge les tribunaux.
L'auteur
Expert-comptable et commissaire aux comptes depuis près de 20 ans, François Régis-Vignon est directeur général associé d'EXCO HESIO à Roanne, président de la Commission Association et membre référent RH du réseau national EXCO.