Revitalisation commerciale : comment certaines villes ont réussi ?
Certains centres-villes ont tiré leur épingle du jeu dans leur combat pour la revitalisation commerciale. Clermont-Ferrand pour les métropoles et Annecy pour les grandes villes moyennes ont vu le commerce évoluer favorablement. Comment ont-ils réussi ?
Je m'abonneLe commerce est confronté à une véritable mutation des modes de consommation, dont l'un des principaux marqueurs est la diminution régulière de la fréquentation des magasins, notamment en centre-ville. Pour faire venir ou revenir les clients dans les boutiques, certaines villes et associations de commerçants ont décidé de prendre les choses en main.
Dynamiser le commerce, partager les bonnes pratiques, mutualiser et coordonner les efforts entre tous les acteurs, l'ensemble de ces mesures donnent déjà des résultats. L'enquête Procos, qui mesure chaque année depuis trois ans le dynamisme commercial des villes françaises de toute taille, a relevé des progrès significatifs dans une grande ville comme Clermont-Ferrand ou une ville moyenne comme Annecy. Grâce à l'animation commerciale, à la revitalisation de certaines rues commerçantes, à l'accompagnement des nouveaux installés, la vacance commerciale recule et les clients reviennent en ville.
Clermont-Ferrand, le réveil de la belle endormie
Clermont-Ferrand a connu en 2016 une véritable prise de conscience et mis en place une politique volontariste, en recrutant une manager de centre-ville, en instaurant un guichet unique pour gérer les demandes des commerçants et un droit de préemption commercial dans le centre-ville ancien. Résultat, sur un total de 3 000 commerces, la ville dénombre désormais près de 30 ouvertures par mois. "?Il y a eu une véritable prise de conscience en 2016?", confirme Ingrid Jean-Joseph, nouvelle manager de centre-ville de Clermont-Ferrand, arrivée en 2017. "?La commune a beaucoup d'atouts, il fallait les mettre en avant, faire travailler ensemble les services de la ville, la chambre de commerce et d'industrie, les associations de commerçants, les propriétaires de locaux commerciaux... c'est le cas aujourd'hui.?"
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La CCI joue pleinement son rôle : études consommateurs, outils de reporting sur la fréquentation et l'évolution des chiffres d'affaires des magasins en centre-ville et en périphérie, comme en témoigne Marie-Claire Dufour, présidente de la commission commerce de la CCI. "Nous avons créé un comité de pilotage avec la Mairie, la chambre de métiers et nous travaillons avec les associations de commerçants. Notre première décision a été de recruter un manager de centre-ville. Nous travaillons ensemble, c'est notre force ! Le rôle de la CCI est de prioriser les actions à mener dans la ville et de construire la ville ensemble. Par exemple, le travail avec les associations de commerçants permet de donner des identités aux rues et aux quartiers. La revalorisation des rues a permis d'attirer de nouveaux commerçants indépendants et des enseignes atypiques.?"
Entamé concrètement il y a un an, ce travail commence à porter ses fruits. "Le centre-ville de Clermont-Ferrand baissait depuis sept ans. En un an et demi, la courbe s'est inversée, avec des chiffres positifs sur le centre-ville, qui se traduisent par l'ouverture de nouveaux commerces et la revalorisation de la rue du Port, de la rue du Gras et de la rue du 11?novembre."
Les commerçants se prennent en main
De leur côté, les commerçants se sont pris en main pour créer une animation commerciale et stopper la désertification des commerces dans certaines rues. Françoise Pinel est présidente de l'association Espace Delille, qui réunit les commerçants du centre historique. Propriétaire avec son mari de l'ébénisterie "Au plaisir des siècles", elle a contribué, avec tous les commerçants voisins, à la véritable renaissance de la rue du Port, qui relie la cathédrale de Clermont-Ferrand à la basilique Notre-Dame du Port, classée au patrimoine mondial de l'Unesco et étape du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.
"Le commerce en centre-ville de Clermont-Ferrand, comme dans beaucoup de villes, a connu une désertification", constate Françoise Pinel. "?La rue du Port est l'une des rues commerçantes historiques de Clermont-Ferrand et beaucoup de touristes l'empruntent pour se rendre de la cathédrale à la basilique Notre-Dame du Port. Pourtant, elle a souffert d'une image dégradée, du fait que beaucoup de commerçants avaient fermé le rideau.?"
Claudine Fernandez, qui vient de reprendre "Ne rien faire", une boutique place du Terrail proposant de la petite restauration, se souvient en effet, "qu'adolescente dans les années 80, la rue du Port était très vivante et comptait de nombreuses boutiques originales". En?2017 et?2018, les loyers commerciaux ont pu être renégociés et beaucoup de projets d'ouvertures ont été accompagnés par la Mairie de Clermont-Ferrand. "La Mairie a été force de proposition pour mettre en relation les bonnes personnes, subventionner des aides à l'ouverture ou offrir un accompagnement bancaire pour le financement des projets", se réjouit Françoise Pinel.
"Grâce à l'association de quartier nous nous sommes sentis intégrés avant même d'ouvrir"
La Boulangerie Moderne, une boulangerie tenue par Maxime Boislardy, artisan boulanger, et son épouse Ophélie Maillot a profité du renouveau de la rue du Port, à Clermont-Ferrand. La très jolie façade ancienne de cette boulangerie historique a retrouvé son lustre le jour de l'ouverture, le 25 janvier dernier. "Nous avons un coup de coeur pour cette vitrine, qui était disponible, et nous avons décidé d'y monter notre projet."
Ophélie Maillot et Maxime Boislardy se sont d'abord tournés vers Françoise Pinel, de l'association Espace Delille, qui leur a indiqué les différents interlocuteurs à contacter. "Cela été compliqué pour les banques, car la rue du Port avait mauvaise réputation et que la boulangerie nécessitait un important investissement", reconnaît Ophélie. L'étude de marché menée par le couple a confirmé qu'il y avait besoin d'une boulangerie dans ce quartier. "Plus nous avancions dans notre projet, plus nous avions envie de nous installer dans cette rue qui bénéficiait d'un véritable dynamisme. Grâce à l'association de quartier et à l'association de commerçants, nous nous sommes sentis intégrés avant même d'ouvrir la boulangerie et nous n'avions pas envie d'aller voir ailleurs", avoue Ophélie Maillot.
Repères
Raison sociale : SARL La boulangerie Moderne
Activité : Concept-store éthique
Date de création : janvier 2019
Ville : Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)
Dirigeants : Maxime Boislardy, 33 ans et Ophélie Maillot, 29 ans
Effectif : 2 personnes
CA : NC
Résultat, alors que la rue du Port comptait 17 devantures fermées, dix d'entre elles ont pu rouvrir en 2018 et trois nouveaux projets ont vu le jour depuis début 2019. Autant de nouveaux venus qui vont rejoindre la cinquantaine d'adhérents de l'association Espace Delille.
Pour créer du trafic et faire découvrir la rue, l'association a mis en place des animations, comme l'accueil d'artisans d'art lors des Journées des métiers d'art, une exposition de photographies ou en mai, l'accueil d'artistes pour Les arts en balade. "Nous voyons déjà les choses s'améliorer, souligne Françoise Pinel. La réouverture des commerces et la diversité commerciale génèrent davantage de trafic. L'image de la rue du Port a changé aux yeux des clients : une rue qui bouge et qui est sympa !"
Les Vitrines d'Annecy animent le centre-ville
À Annecy, qui bénéficie d'une belle attractivité en raison de sa proximité avec la Suisse, le travail mené par la ville a porté sur l'adéquation entre l'offre et la demande de locaux commerciaux et sur la diversification commerciale. L'objectif de la ville est de "préserver le commerce de proximité, mais aussi préserver le commerce dans sa diversité". Pour cela, elle a mis en place fin 2018 des périmètres de préemption commerciale sur l'ensemble de la Commune nouvelle d'Annecy, suite à la réalisation d'une étude sur l'armature commerciale.
À l'occasion de la fusion d'Annecy avec les communes voisines, pour devenir la Commune nouvelle d'Annecy, l'association Les Vitrines d'Annecy s'est structurée en 2018, en fédérant cinq associations de commerçants de la Métropole. Céline Jaudin, chef de projet, a piloté pendant un an le rapprochement des associations, en veillant à la représentativité des différentes communes.
Pour Mathieu Cazaban, agent immobilier Laforêt et président de l'association de commerçants Les Vitrines d'Annecy, "les associations souhaitaient se regrouper pour représenter un interlocuteur unique auprès de la commune. Nous avons profité de cette fusion pour demander à rejoindre les commissions mobilité ou stationnement, afin de participer de manière active à la redéfinition du centre-ville. Aujourd'hui, l'association défend les intérêts des commerçants et les accompagne pour faciliter leurs démarches."
Même si Les Vitrines d'Annecy estime ne pas encore disposer d'une visibilité suffisante des mesures mises en place par la Commune nouvelle d'Annecy, la conjonction des premières actions de la ville et de celles de l'association de commerçants ont contribué à redynamiser le commerce à Annecy, qui bénéficie selon l'étude Procos de la meilleure progression des villes moyennes. Ce dynamisme et cette visibilité a séduit Éva Berkowicz, qui s'est installée en décembre dernier rue Royale avec une boutique de bijoux baptisée Engrenages. "Annecy est un centre-ville beaucoup plus vivant que Chambéry ou Aix-les-Bains, qui est joli, hyperdynamique et accueille beaucoup de touristes", souligne-t-elle. Proche de la Suisse, Annecy compte également de nombreux frontaliers au fort pouvoir d'achat.
"Nous avons une association de commerçants très dynamique, qui a dû pouvoir vis-à-vis de la Mairie et propose de nombreuses initiatives." Une fois par mois, les commerçants adhérents se retrouvent pour un apéritif dans l'une des boutiques. Éva Berkowicz profite aussi des réseaux sociaux pour augmenter sa visibilité : "Maintenant que j'ai Instagram et un site Internet, les créateurs de bijoux me démarchent pour figurer dans ma sélection."
À quelques rues de là, Sarah Le Breton a ouvert sa boutique de décoration de style nordique Lupä Moutoune, en choisissant soigneusement son emplacement (voir encadré ci-dessous). Son succès et son attractivité devraient faire des émules parmi les nouveaux commerçants qui ambitionnent de s'installer dans cette agglomération dynamique.
"Je savais précisément dans quelle rue je voulais m'installer"
Parisienne, ancienne DRH dans l'industrie et les télécommunications, Sarah Le Breton a ouvert sa boutique de décoration à Annecy en novembre 2018. "Ayant de la famille dans la région, je connaissais le centre-ville d'Annecy et son dynamisme. Je savais précisément dans quelle rue je voulais m'installer." Elle a choisi une rue de l'hyper-centre, dans laquelle les voitures peuvent circuler, et à proximité d'autres boutiques maison ou déco. "Je trouve cela intéressant de se regrouper autour d'un même univers. Cela crée de la concurrence positive, avec une identité propre et complémentarité pour chaque boutique."
Le mois de son ouverture, la boutique a attiré un large public, qui s'est révélé un peu plus frileux pendant les mois d'hiver. Avec les beaux jours, Sarah Le Breton espère attirer les Anneciens et les touristes séduits par les produits en matières naturelles vendus dans son concept-store éthique. Dès son arrivée, la nouvelle gérante se rapproche des Vitrines d'Annecy et fréquente les afterworks organisés par l'association de commerçants. Elle y rencontre une consultante qui l'aide, entre autres, à gérer ses réseaux sociaux. "Les afterworks sont importants pour échanger nos bonnes idées et nos bonnes pratiques, mais aussi pour partager nos inquiétudes", conclut Sarah Le Breton.
Repères
Raison sociale : SARL Lupä Moutone
Activité : Concept-store éthique
Date de création : 2018
Ville : Annecy (Haute-Savoie)
Dirigeant : Sarah Le Breton, 42 ans
Effectif : 1 personne
CA : NC