Ouverture dominicale : une question qui divise
Alors que les préfectures décident du champ d'application de la loi Mallié, l'ouverture des commerces le dimanche est un sujet plus sensible que jamais. Est-ce une opération rentable ? Et comment gérer la situation avec les employés ? Quelques pistes de réflexion.
Je m'abonneUne centaine de personnes manifeste devant le Super U de Podensac, en Gironde. Une scène qui s'est reproduite tous les dimanches d'octobre 2009. Constitué de salariés de la grande surface, de petits commerçants voisins et d'élus locaux, le groupe s'élève contre la décision, légale, prise par la direction du supermarché d'ouvrir le dimanche matin. Sujet d'actualité récurrent depuis des années, l'ouverture dominicale est particulièrement sensible depuis la promulgation de la loi Mallié, le 10 août 2009. Le gouvernement a ainsi élargi les conditions d'ouverture le dimanche (lire l'encadré législation, ci-contre). Si la plupart des grandes enseignes s'en réjouissent, les petits commerçants, eux, sont partagés. Et ce, même dans les communes non concernées par la nouvelle loi, mais qui bénéficient toujours de dérogations préfectorales cinq dimanches par an. L'ouverture dominicale, piège ou aubaine ? Une question qui suscite de nombreuses inquiétudes.
Des clients au rendez-vous ?
Premier point : les consommateurs achèteront-ils le dimanche ? « Non, répond Georges Sorel, président de la Fédération française des associations de commerçants (FF AC). Le pouvoir d'achat n'est pas extensible. Les ventes réalisées le dimanche remplaceront celles de la semaine. »
Ce point de vue est également défendu par Charles Melcer, président de la Fédération nationale de l'habillement. Pour Hugues Frioud, président de Plein Centre, association de commerçants du centre-ville de Nantes, la meilleure solution reste d'autoriser l'ouverture des boutiques quelques dimanches par an, par dérogation. « Il peut être profitable d'ouvrir lors de périodes propices aux affaires, comme la veille de Noël et au début des soldes. estime-t-il. Mais les commerçants et les clients ne sont pas prêts pour une ouverture dominicale systématique. » D'autant qu'ouvrir le dimanche n'est pas neutre financièrement pour un commerçant. Le travail des salariés peut se traduire, selon les zones (lire l'encadré législation), par un repos compensateur et un salaire plus élevé. Les coûts de fonctionnement sont donc plus élevés et la rentabilité plus difficile à atteindre. Par ailleurs, les petites structures peuvent être handicapées lorsqu'il s'agit d'assurer une rotation des effectifs.
L'ambiance sociale dégradée ?
Outre le surcoût financier, il peut se révéler délicat de faire travailler ses employés le dimanche, surtout s'ils sont déjà en boutique le samedi. D'ailleurs, la loi Mallié précise que le travail dominical n'est possible que sur la base du volontariat. Est-ce possible de garder un climat social harmonieux lorsque certains employés travaillent le dimanche et d'autres non ? C'est parfois le cas. Comme dans la boutique de prêtà-porter Joseph Curtis, en région parisienne, qui compte trois salariés et ouvre tous les dimanches matins. « Cela arrange l'un de mes employés, sans enfant, d'avoir un repos compensatoire plus long (deux jours et demi au lieu de deux) en travaillant le dimanche, explique Joseph Curtis, le gérant. En revanche, l'une de mes vendeuses, mère de famille, s'y refuse. » Une situation pas toujours aussi évidente. « Poussés par la nécessité, certains employés pourraient travailler le dimanche contre leur gré », prévient Georges Sorel (FF AC). En effet, si un commerçant désirant ouvrir ses portes le dimanche recrute un employé pour compléter son effectif, l'embauche sera conditionnée par l'accord du candidat à travailler ce jour-là. S'il le fait à contrecoeur, l'ambiance au sein de l'équipe pourrait s'en ressentir, et la motivation générale en pâtir.
Le commerçant, lui-même, peut aussi désirer garder son dimanche chômé. Ainsi, selon une enquête de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) réalisée en 2006, neuf commerçants sur dix souhaitent que le repos hebdomadaire reste fixé au dimanche. Cependant, l'un des facteurs décisifs susceptible de les pousser à ouvrir leurs portes est l'attitude de la concurrence. Si votre concurrent direct s'y résout, vous pouvez perdre des parts de marché en prenant son contre-pied. En outre, les clients ne se déplacent pas pour quelques rares magasins ouverts. « Il doit y avoir une harmonisation », estime Nelly Thomas. Cette commerçante, gérante de Soon, une boutique de textile féminin à Nantes, en a fait l'expérience. N'ayant pas d'employés, elle a ouvert quelques dimanches. Mais les grandes enseignes servant de locomotives, comme la Fnac ou les Galeries Lafayette, étant restées portes closes, les consommateurs sont restés chez eux...
Selon une étude de la CGPME, neuf commerçants sur dix souhaitent que le dimanche reste le jour fixe de repos.
LEGISLATION
Ce que dit la loi Mallié
Depuis la loi Mallié du 10 août 2009, faire travailler les employés le dimanche, sur la base du volontariat, est possible pour un plus grand nombre de commerçants.
Quelles sont les conditions à remplir ?
- Si la boutique est située dans une zone touristique ou thermale, plus besoin désormais d'avoir une activité liée à la culture et aux loisirs pour obtenir l'autorisation.
- Autre possibilité : le point de vente doit se trouver dans l'un des Périmètres d'usage de consommation exceptionnel, ou «Puce». Ces zones, créées par la Loi Mallié, sont caractérisées par une clientèle suffisamment importante ce jour-là, ou par la proximité d'un pays où les commerces sont ouverts le dimanche. Les «Puce» se situent dans les bassins de consommation les plus importants de l'Hexagone (à l'exception de Lyon, où la consommation dominicale ne fait pas partie des habitudes locales) : Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Reste aux préfets à décider quelles communes font partie des «Puce», sur demande préalable des mairies. Les commerces concernés bénéficient alors d'une autorisation pour cinq ans.
Quid de la rémunération et du repos des salariés ?
- Aucune compensation n'est prévue dans les zones touristiques ou thermales.
- Dans les «Puce», une négociation collective doit avoir lieu. Si elle échoue, chaque collaborateur travaillant le dimanche verra son salaire doublé et obtiendra un repos compensateur.
A l'heure où nous écrivons ces lignes, seul un accord collectif a vu le jour, le 11 décembre. Il s'agit de la zone de Plan-de-Campagne, (dans la 10e circonscription des Bouches-duRhône, dont Richard Mallié est le député) par où le scandale est arrivé, puisque les dérogations permettant à la zone commerciale d'ouvrir le dimanche étaient contestées par les organisations syndicales et les commerçants. Le texte actuel prévoit que les salariés travaillant le dimanche toucheront une majoration de leur salaire correspondant au Smic, augmenté de primes au-delà de 18 mois d'ancienneté. Pour les congés, aucune compensation n'a été obtenue : les salariés bénéficieront des deux jours de congés obligatoires.
POUR OU CONTRE LE TRAVAIL DOMINICAL ?
Deux gérants de boutiques de prêt-à-porter situées à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) donnent leur avis sur l'ouverture le dimanche.
La commune fait partie des Périmètres d'usage de consommation exceptionnel («Puce»). La mairie a fait une demande d'autorisation à la préfecture des Hauts-de-Seine, qui devrait se prononcer sous peu.
POUR
Michèle Bansay : « C'est l'avenir ! »
Lorsqu'elle évoque la possibilité d'ouvrir le dimanche, Michèle Bansay s'enflamme. « Si j'en avais l'opportunité, je n'hésiterais pas une seconde, clame-t-elle. La clientèle ne serait peut-être pas au rendez-vous les premières semaines, par manque d'habitude, mais elle viendrait par la suite. » La commerçante compte sur une nouvelle clientèle, à laquelle elle n'a pas accès actuellement, notamment la population travaillant le samedi. Elle parie également sur un contexte d'achat différent, plus détendu le dimanche, qui favorise l'augmentation du panier moyen. Pourtant, bénéficiant d'une dérogation, elle a ouvert le premier dimanche suivant le début des soldes d'hiver, où seules une dizaine de clientes se sont déplacées. Mais la commerçante est convaincue : malgré des coûts de fonctionnement plus élevés (salaire et repos compensatoire pour ses trois employées), le jeu en vaut la chandelle. « Lorsque je voyage à l'étranger, je réalise que les villes où les commerces sont ouverts le dimanche sont beaucoup plus gaies. La France devra s'y plier aussi, c'est l'avenir ! », conclut-elle.
CONTRE
Joseph Curtis : « Ce n'est pas utile »
« Si je pouvais ouvrir le dimanche après-midi, je ne le ferais pas », avoue Joseph Curtis. Le commerçant bénéficie déjà d'une dérogation pour le matin, due à la présence du marché voisin. « Les ventes sont au rendez-vous le dimanche matin, aussi importantes qu'en semaine, car le marché attire les consommateurs. L'après-midi, ils ont d'autres occupations.
Si seuls quelques clients viennent en boutique, ce n'est pas rentable. »
En effet, pour ouvrir le dimanche matin, le commerçant voit déjà ses coûts de fonctionnement augmenter, puisqu'il doit employer un vendeur supplémentaire, à mi-temps, pour assurer une rotation satisfaisante dans sa boutique et pouvoir lui donner le repos compensatoire obligatoire. « La somme dépensée par les consommateurs reste identique, même en ouvrant plus. Ce n'est donc pas rentable », tranche Joseph Curtis.