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Les centres-villes sur la voie de la renaissance

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Concurrencé par la périphérie durant les années quatre-vingt, le centre-ville était donné pour moribond... Mais les étroits des municipalités et des commerçants eux-mêmes portent leurs fruits. Le coeur de la ville est en train de prendre sa revanche.

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Limoges, un samedi après-midi. Rue du Clocher, les chalands se pressent et l'animation bat son plein. Tandis qu'à la fin des années quatre-vingt-dix - fuite vers la périphérie oblige - le centre- ville souffrait d'une véritable désaffection, au profit des galeries marchandes avoisinantes, les rues les plus commerçantes de la ville ont, aujourd'hui, repris des couleurs, aux termes d'importants travaux de rénovation et de longues négociations avec les propriétaires privés et les enseignes. Les axes secondaires sont en cours de traitement.

Comme Limoges, nombre de villes françaises font preuve de dynamisme pour revitaliser leur hypercen- tre. Une énergie qui porte progressivement ses fruits. Car le centre-ville ne manque pas d'atouts pour attirer les commerçants. «Il permet aux enseignes de se différencier, notamment par l'architecture de la cité, la rue, les magasins environnants, explique Philippe Moati, chargé d'études au Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie). Le commerçant peut aussi profiter de la présence d'équipements, culturels ou sportifs, pour attirer le client.» Un dynamisme porté par le contexte socio-culturel des années 2000. Selon Gérard Mermet, auteur de Francoscopie, un ouvrage biennal sur la sociologie de nos compatriotes, la proximité est une valeur porteuse: «Les Français ne sont pas indifférents aux services proposés par les commerces traditionnels: services, conseils, qualité des produits. ..» Le sociologue évoque même un goût pour les petits commerces, en réaction au gigantisme en vogue durant les années quatre-vingt-dix. Une attente qui serait, selon lui, «de nature à favoriser le retour du petit commerce».

Encore fallait-il donner au consommateur l'envie de revenir. Des efforts d'adaptation ont donc été réalisés, en grande partie par les municipalités, pour aménager des centres-villes devenus déserts. C'est le cas à Grasse, où les trente dernières années ont dévitalisé le coeur historique au profit de la périphérie. «L'un des axes principaux, la rue de l'Oratoire, était quasi mort en 2005», se souvient Luc d'Halluin, adjoint de Grasse Développement, la société d'économie mixte qui a été chargée de redynamiser le centre-ville. Pour ce faire, Luc d'Halluin et son équipe ont mis en place «la pépinière commerciale». Le principe? Ils se sont attelés à racheter les locaux commerciaux vacants, pour les refaire à neuf, puis les louer, à des conditions avantageuses, à des commerçants triés sur le volet. Deux ans plus tard, les résultats sont là: une quinzaine de locaux commerciaux ont retrouvé preneurs dans l'hypercentre. «A terme, précise le porte-parole de Grasse Développement, nous voulons étendre l'opération à deux autres rues, pour faire renaître une trentaine de commerces.» Les projets retenus doivent être viables sur le plan économique, mais aussi offrir une valeur ajoutée par rapport aux points de vente des villes voisines. Les heureux élus ne paient ni pas de porte ni droit au bail. En outre, leur premier mois de location leur est offert. En échange, ils doivent s'engager à respecter des jours et horaires minimum d'ouverture (du lundi au samedi, de 10 à 18 heures sans interruption). Un système gagnant gagnant. Par exemple, au numéro 6 de la rue de l'Oratoire, se trouve Sylvie Patron, gérante de la boutique de décoration Entre Campagne et Montagne. La commerçante s'est installée en septembre 2006, avec un budget de 20 000 euros. «Si j'avais dû financer un droit au bail, soit environ 15 000 euros sur un tel emplacement, je n'aurais, tout simplement, pas pu faire face à mes autres frais.» Grâce au dispositif de la pépinière, Sylvie Patron a pu investir dans l'agencement de son point de vente et dans son stock, bien sûr. Un an plus tard, son chiffre d'affaires lui permet de couvrir l'ensemble de ses charges et même de dégager un petit excédent, de l'ordre de 200 euros par mois.

Zoom

Le manager de centre-ville, un personnage-clé


Sa mission: coordonner les efforts des commerçants et des élus tout en gardant à l'esprit les intérêts des consommateurs. Le manager de centre-ville est le «Monsieur commerce» de l'agglomération. Son salaire est financé par le Fisac (Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce), ainsi que par des aides de la municipalité et de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI). Un métier en plein essor: on compte 57 managers de centre-ville, en France, en 2007, contre une trentaine l'an dernier. A

Faire venir les enseignes

Reste qu'à Grasse, l'affluence est saisonnière et les mois d'hiver difficiles. L'arrivée d'une locomotive commerciale permettrait, sans doute, d'améliorer la situation. C'est le cas à Limoges, où Jean-Gérard Didierre, manager de centre-ville, a réussi à attirer la Fnac, en octobre 2006, puis l'enseigne de prêt-à- porter H&M, après avoir sondé les résidents sur leurs souhaits. Selon la Fnac, le nombre de passages, entre 2004 et 2007, a crû de 50%. Un effet moteur qui a également bénéficié aux commerces alentours.

D'une façon générale, l'arrivée de grandes enseignes à fort pouvoir d'attraction est une aubaine pour un coeur de ville. Selon Procos, fédération pour l'urbanisme et le développement du commerce spécialisé, les enseignes nationales constituent désormais entre 30 et 40% des points de vente de centre-ville. Bonne nouvelle: après avoir maillé les métropoles, elles s'intéressent aux agglomérations de 10 000 à 15 000 habitants, où elles s'implantent volontiers sous forme de franchise, en partenariat avec des commerçants locaux.

Philippe Moati, chercheur au Credoc

On assiste à une nouvelle configuration commerciale du centre-ville.

Miser sur le service

Mais implanter des magasins ne suffit pas. Encore faut-il apporter un petit plus pour attirer le chaland. Certains acteurs ont misé sur le service. Là encore, des enseignes comme Monoprix et la Fnac font figure d'exemple. Elles facilitent la vie de leurs clients en adoptant des horaires amples: jusqu'à 20 heures dans certaines Fnac, et jusqu'à minuit pour les Monop', la nouvelle enseigne de centre-ville de Monoprix. Une initiative judicieuse, puisque la moitié du chiffre d'affaires de Monop' est réalisée en semaine, après 18 heures.

De leur côté, les petits commerces indépendants fourbissent eux aussi leurs armes pour faciliter la vie des consommateurs. A Versailles, dans l'Ouest parisien, les commerçants ont créé, en mai 2000, Versailles Portage. Cette association se propose de choyer les clients des commerces de centre-ville: elle leur livre leurs courses à domicile ou sur le lieu de travail, et rend même de menus services comme de véhiculer les personnes âgées qui souhaitent se rendre chez leurs commerçants. L'association a bénéficié d'un coup de pouce du Conseil Général pour l'achat de quatre véhicules, deux voitures et deux mobylettes. Le coût de la livraison est pris en charge par les commerçants, qui paient entre 250 et 3 000 euros par an, selon le nombre de courses effectuées. Eric Dossi, responsable du salon Eric Coiffure, utilise les services de Versailles Portages depuis 2001. «Depuis que nous proposons cette navette, les clientes viennent plus souvent.» Les chiffres parlent d'eux-mêmes: en six ans, la fréquentation de son salon a augmenté de 30%.

Mais les services ne suffisent pas. Pour attirer les consommateurs, il est nécessaire de faire vivre le quartier. A Limoges, la ville a misé sur la culture. Pendant l'été, les commerçants exposent, dans leurs points de vente, des oeuvres d'art contemporaines. De trente à sa naissance en 2004, l'opération convainc aujourd'hui une centaine de commerçants, qui font partie d'un circuit appelé Parcours de l'Art. Les commerçants paient 50 euros par an pour adhérer à l'association. «S'il est difficile de chiffrer le retour sur investissement, tous renouvellent leur participation d'une année sur l'autre», observe Jean-Gérard Didierre, manager de centre-ville de Limoges et instigateur de l'opération. Son homologue à Aies (Gard), Claire Elaïd, vient de lancer, le mois dernier, une opération de fidélisation beaucoup plus terre à terre. Les commerçants peuvent acquérir des jetons, puis les offrir à leurs clients, lesquels vont les échanger contre différents services comme le parking. Si le système est intéressant, il a aussi un coût: les commerçants, qui adhèrent à cette opération, y ont consacré 2% de leur chiffre d'affaires.

Jean-Gérard Didierre, manager de centre-ville de Limoges

Il existe une forte volonté politique de revitaliser les centres-villes.

Si ces opérations privées contribuent à dynamiser le commerce local, elles ne permettent pas de mener à bien des opérations de grande envergure. D'où l'utilité des fonds publics, qui donnent l'opportunité à certaines agglomérations de s'offrir les compétences d'un manager de centre-ville (encadré p. 36). De même, l'Etat soutient la réhabilitation de centres- villes, comme à Limoges, où la rénovation de 160 logements a coûté la bagatelle de 20 millions d'euros, dont la moitié financée par des fonds publics. «Tout cela démontre une volonté politique forte de revitaliser les centres -villes, estime Jean-Gérard Didierre, manager de centre-ville de Limoges. Forts de cet atout, nous pouvons organiser librement la répartition des commerces entre centre-ville et périphérie. Notre mission est de les rendre complémentaires et non concurrents.» Quitte à se montrer autoritaire: à Limoges, certains secteurs sont réservés au centre-ville, comme la culture, les loisirs, l'équipement de la personne, l'hygiène-beauté, la santé et la décoration. Pourtant, si cette répartition s'applique dans la plupart des agglomérations françaises, les exceptions se multiplient. Après s'être épanouie en centre-ville, la Fnac s'exporte aujourd'hui vers la périphérie, avec un format destiné à séduire une clientèle familiale. A l'inverse, certaines chaînes, traditionnellement abonnées aux grandes surfaces de périphérie, comme Décathlon ou Leroy Merlin, créent des formats réduits pour profiter de cette consommation immédiate spécifique au centre- ville. «Elles tentent de trouver de nouveaux leviers de croissance. Elles ont exploité tout le potentiel de la périphérie et se tournent vers d'autres types d'emplacement», commente Philippe Moati, chercheur au Credoc. Parallèlement, les galeries commerciales ne cessent de se multiplier en ville. «Elles attirent les enseignes, explique Jean-Michel Silberstein, délégué général du CNCC (Conseil national des centres commerciaux) , qui y trouvent des superficies importantes et des locaux ergonomiques.» Les Allées Provençales, une galerie à ciel ouvert qui a ouvert ses portes, en avril dernier, à Aix-en-Provence, fait partie de ces petits centres commerciaux de coeur de ville, fondus dans l'architecture de la cité. «Nous avons beaucoup travaillé pour faire des Allées Provençales une extension du centre-ville et non un quartier supplémentaire», explique Vincent Mauvage, directeur du centre commercial. Le projet, amorcé en 1997, avait pour but de faire revenir la clientèle aixoise dans son centre-ville, mais aussi d'attirer les habitants des villes environnantes. Dès 2004, des commerces se sont implantés, avant l'inauguration du centre, en 2007. Six mois plus tard, il n'existe pas encore de statistiques concernant la fréquentation du complexe, mais si l'on en croit Vincent Mauvage, «les commerçants ont des chiffres de vente supérieurs à leurs objectifs». Eve Marconi (témoignage ci-dessus) gère, depuis 2004, Body One, une boutique franchisée de lingerie, située aux Allées. «J'ai vu une progression de 128% de la fréquentation après l'installation de la Fnac», se souvient-elle.

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La Boutique d'Angers, un modèle du genre


Point incontournable du centre-ville, la Boutique d'Angers propose un grand nombre de services aux consommateurs: une consigne (classique, automatique ou réfrigérée), la livraison à domicile, la mise à disposition de chariots adaptés, les paquets cadeaux, des sacs durables gratuits, la location de vélos et, enfin, la distribution de chèques parking. Bientôt, la Boutique aidera les commerçants eux-mêmes: pendant les travaux d'aménagement du tramway, ils pourront se faire livrer leurs marchandises à la Boutique, qui se chargera de les leur redistribuer. Autant de services «plus» qui ont fait d'Angers une ville commerçante dynamique.

Complémentarité ou concurrence?

Pourtant, selon certains observateurs, la venue de grandes enseignes en centre-ville est à double tranchant. «Les centres commerciaux offrent des prestations utiles, comme les places de stationnement, explique Philippe Moati, du Credoc. Mais les enseignes qui s'y installent peuvent causer une concurrence frontale au commerce traditionnel, qui a bien souvent du mal à rivaliser sur le terrain des prix.» Entre les étiquettes des géants succursalistes et celles des détaillants indépendants, le consommateur risque de faire la comparaison... C'est ce que redoutait Matthieu Colombe, qui dirige la librairie Goulard, établie depuis 1870 à Aix. Lors des rumeurs d'installation de la Fnac aux Allées Provençales, à 50 mètres de la librairie, il a créé une association réclamant que le rayon livres du grand magasin n'excède pas 300m2. Pourtant, depuis l'inauguration de la Fnac, en avril dernier, force est de constater qu'aucune baisse de chiffre ne s'est fait ressentir à la librairie Goulard. Selon le commerçant, «les clients des Allées Provençales ne vont pas jusqu'au cours Mirabeau (l'avenue principale d'Aix, ndlr)». Complémentarité ou concurrence frontale? Le verdict sera définitif après les fêtes de Noël.

Le centre-ville a-t-il gagné la guerre ou juste une bataille? Philippe Moati, du Credoc estime que l'on assiste à une nouvelle configuration commerciale, qui ne reverra plus l'âge d'or du centre- ville, mais lui donnera un rôle d'appoint. Aujourd'hui, si les cités renaissent, la périphérie reste la plus dynamique. Selon Procos, 6 millions de mètres carrés de surface commerciale sont en projet en périphérie, contre 1 million en centre-ville. Les centres commerciaux situés dans les coeurs de ville sont beaucoup plus longs à construire, plus de quinze ans en moyenne. Mais la nouvelle tendance est peut-être déjà ailleurs. «Les commerces se développent actuellement dans les zones de transit: gares, métros et aéroports, confie Philippe Moati. Leur objectif est de happer le consommateur dans ses trajets quotidiens.» Un nouvel enjeu que certaines enseignes ont déjà anticipé à Paris. Monoprix a ainsi ouvert deux magasins, l'un en gare de La Défense, et l'autre en Gare du Nord.

Témoignage

Eve Marconi, gérante de la franchise Body Une des Allées Provençales, à Aix-en-Provence


«Les enseignes ont boosté mon commerce»


lnstallée depuis mars 2004 aux Allées Provençales, situé au coeur d'Aix-en- Provence, Eve Marconi est franchisée d'un magasin de lingerie Body One. Elle avoue avoir choisi cet emplacement pour la proximité de Monoprix et de la Fnac:;
«J'ai parié sur ces locomotives pour attirer la clientèle dans ce nouveau lieu de consommation.» La commerçante ne s'y est pas trompée: entre juillet 2006 et juillet 2007, son chiffre d'affaires a plus que doublé. Mais qu'en est-il de la localisation en centre commercial? «Il y a des avantages et des inconvénients. L'association des commerçants du centre fait preuve d'un grand dynamisme pour la communication et les animations de fin d'année. Mais les horaires d'ouverture sont contraignants et pas toujours adaptés au mode de vie local: en été, il ne me semble pas utile de rester ouvert jusqu'à 19 heures 30. De plus, comme il n'y a pas de pause déjeuner, je suis obligée d'employer deux personnes pour avoir une vendeuse en permanence.»


Repères


- RAISON SOCIALE
Body One
- VILLE
Aix-en-Provence
- ANNEE DE CREATION
2004
- GERANTE
Eve Marconi, 41 ans
- EFFECTIF
2 salariés
- CHIFFRE D AFFAIRES 2006
250 000 euros

 
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Céline Keller

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