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L'indemnité d'éviction, mode d'emploi

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A l'issue du bail commercial, le bailleur peut refuser son renouvellement. Mais il doit alors, sauf exceptions, payer au locataire une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail. Explications.

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1- Quand y prétendre?

Selon le code de commerce, pour que le locataire puisse prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction compensant la perte du fonds de commerce, deux conditions doivent être remplies: d'une part, que le bailleur refuse le renouvellement et, d'autre part, que le locataire réunisse les conditions du droit au renouvellement du bail.

Plusieurs cas de figure peuvent en revanche autoriser le bailleur à refuser le renouvellement du bail, sans être tenu de payer une indemnité. Par exemple, si le preneur n'est pas immatriculé au Registre du commerce; ou bien si le bailleur justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant (absence d'exploitation du fonds de commerce, sous-location irrégulière, etc.); enfin, si le bailleur établit que l'immeuble doit être totalement ou partiellement démoli du fait de son insalubrité ou qu'il ne peut être occupé sans danger. Attention, si le bailleur refuse le droit à indemnité d'éviction, le locataire dispose d'un délai de deux ans pour intenter une action judiciaire.

2- Qui est concerné?

Seul «le locataire évincé» a droit au paiement de l'indemnité d'éviction. Autrement dit, le locataire qui a reçu congé peut prétendre à une indemnité d'éviction, de même que le cessionnaire de son fonds de commerce. En effet, la cession du fonds emporte celle de la créance d'indemnité d'éviction. En revanche, le locataire gérant, n'exploitant pas les lieux, ne peut prétendre à cette indemnité.

3- Qui doit la payer?

Seul le bailleur est visé, pas le propriétaire de l'immeuble. Par conséquent, le locataire ou l'occupant principal est tenu de payer cette indemnité au sous-locataire. Si l'immeuble est vendu après le refus de renouvellement, l'indemnité d'éviction reste une dette personnelle du vendeur car c'est le congé délivré par le vendeur qui a mis fin au bail. Même si l'acte de vente a mis le paiement de l'indemnité à la charge de l'acquéreur, le locataire conserve son recours contre le vendeur en cas d'insolvabilité de l'acquéreur.

4- Comment évaluer son montant?

Le montant de l indemnité d éviction est calculé en fonction de la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession. Elle est éventuellement augmentée des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur. Sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. Par exemple, lorsque le non-renouvellement du bail n'a pas causé de perte de clientèle au locataire.

Si les modalités de fixation de l'indemnité n'ont pas été prévues, c'est le juge qui en décide, en fonction notamment du caractère transférable ou non du fonds de commerce. Ainsi, si l'exploitation peut être poursuivie sans perte significative de clientèle, l'indemnité principale est équivalente à la valeur du droit au bail. On parle alors de valeur «de déplacement».

En général, la valeur du droit au bail constitue l'indemnité principale. Cette valeur est fonction de plusieurs facteurs. Du fait du plafonnement des loyers commerciaux, le loyer du local dont le locataire est évincé ne correspond pas à la valeur locative, c'est-à-dire au prix du marché: il lui est sensiblement inférieur. Le locataire évincé va donc nécessairement payer un loyer plus élevé dans ses nouveaux locaux. Le différentiel de loyer correspond au préjudice subi de ce chef et détermine la valeur du droit au bail, donc de l'indemnité d'éviction. D'autres facteurs jouent comme l'emplacement des locaux, les aménagements, etc.

En revanche, si le fonds de commerce ne peut être transféré, l'indemnité principale est équivalente à la valeur du fonds de commerce. On parle alors de valeur «de remplacement». Elle correspond à un pourcentage du chiffre d'affaires annuel, ou à un multiple de la recette journalière, par exemple.

A cette indemnité principale, s'ajoutent des indemnités accessoires. Il peut s'agir par exemple d'une indemnité de remploi correspondant aux frais et droits de mutation pour l'acquisition d'un fonds de même valeur ou d un droit au bail équivalent ou encore de frais normaux de réinstallation et de déménagement. Font partie également des indemnités accessoires, le trouble commercial correspondant au préjudice subi par le locataire pendant la période de déménagement et de réinstallation ou, à défaut de réinstallation, pour l'arrêt de l'exploitation, mais aussi le double loyer en cas de déménagement du locataire. Celui-ci tient compte du fait que, dans la plupart des cas, pendant la période de déménagement et de réinstallation, le locataire va devoir payer à la fois le loyer de l'ancien local et celui du nouveau.

Autres exemples: la perte sur stock lorsque la cessation d'activité oblige le commerçant à liquider ses marchandises dans des conditions préjudiciables; les frais de licenciement du personnel en cas de perte du fonds ou de réinstallation dans un local plus petit ne permettant pas l'emploi de la totalité du personnel ou encore en cas de refus de certains salariés de suivre l'entreprise sur son nouveau site. Les frais divers (frais d'actes et formalités de changement de siège, de transfert de ligne téléphonique, d'impression des documents commerciaux et d'emballages, d'information de la clientèle et des fournisseurs, etc.) entraînent eux- aussi une indemnité accessoire.

Enfin, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt en date du 21 mars 2007, que les frais d'aménagement du local d'accueil engagés par le preneur donnaient lieu à une indemnité accessoire venant s'ajouter à l'indemnité principale, tant dans l'hypothèse du remplacement du fonds de commerce que dans celle de son déplacement (C. C. 3e Civ. N°06-10780).

Maître Vincent Canu

Le Le montant de l'indemnité d'éviction est calculé en fonction de la valeur marchande du fonds de commerce, éventuellement augmentée de frais.»

5- Quelles sont les conséquences pour le locataire?

Il ne peut être obligé de quitter les lieux avant le paiement complet de l'indemnité d'éviction par le bailleur. Mais attention de ne pas faire traîner la procédure. En effet, à compter de la fin du bail, il devra non plus un loyer mais une indemnité d'occupation égale à la valeur locative des locaux. Celle-ci n'est pas plafonnée et peut donc être largement supérieure au loyer payé. De plus, elle vient en déduction de l'indemnité d'éviction. Résultat: si la procédure en fixation de l'indemnité d'éviction dure deux ans, le locataire verra son indemnité d'éviction amputée d'autant.

Une fois que le bailleur a procédé au versement de l'indemnité, le locataire doit quitter les lieux le premier jour du terme d'usage qui suit l'expiration du délai de 15 jours, à compter du versement de la somme. Enfin, sachez que le bailleur dispose d'un droit de repentir: il peut se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction et consentir au renouvellement du bail. Toutefois, ce droit de repentir ne peut plus s'exercer quand le locataire a quitté les lieux et rendu les clés.

A lire

Droit des baux commerciaux, par Jean-Pierre Blatter, Editions Le Moniteur, 2006, 75 euros.

 
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VINCENT MAITRE CANU

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