Conduites addictives au travail: que faire?
Face à un salarié qui boit ou consomme des produits stupéfiants dans le cadre professionnel, le chef d'entreprise peut - et c'est même son devoir - agir juridiquement. Panorama de toutes les possibilités.
Je m'abonne1 - Assurer la sécurité des salariés
Le concept de conduite addictive recouvre l'ensemble des dépendances à un produit, à un comportement ou à une personne, impliquant un besoin impulsif et répétitif de consommation ou d'utilisation (source: Daniel Settelen, Medisite.fr). Le code du travail vise expressément certains produits (alcool, tabac) ou comportements (harcèlement sexuel) susceptibles de relever de cette pathologie. La consommation de produits stupéfiants est, par ailleurs, sanctionnée par le code pénal. Compte tenu de leur impact sur la santé des personnes, les comportements addictifs peuvent avoir un effet collectif par la mise en danger de la santé des autres collaborateurs de l'entreprise. Dès lors, l'obligation de sécurité à laquelle il est tenu oblige l'employeur à agir. Les principes généraux qui président aux règles relatives à l'hygiène et à la sécurité au travail peuvent avoir les mêmes conséquences juridiques.
2 - Une définition du concept de sécurité
Selon l'article 4131-1 du code du travail, l'employeur est tenu de prévenir les risques professionnels, d'informer et de former les salariés et de mettre en place des moyens pour protéger la santé physique et mentale des personnes. Il a, ainsi, interdiction de laisser entrer ou séjourner, dans le lieu de travail, des personnes en état d'ivresse. Le règlement intérieur de l'entreprise pourra, du reste, interdire l'introduction de toute boisson alcoolisée, y compris le vin et la bière, pourtant tolérés par le code du travail.
Quant à l'interdiction de fumer, elle est mentionnée aux articles R.3511-1 et suivants du code de la santé publique. L'employeur est donc tenu de mettre en place une signalisation apparente rappelant l'interdiction. Le manquement à cette règle, de même que le fait de mettre à disposition des fumeurs un emplacement non conforme ou de favoriser sciemment la violation de l'interdiction de fumer, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.
Enfin, dans une situation susceptible de présenter un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, le salarié dispose d'un droit d'alerte et de retrait. L'employeur, quant à lui, a l'obligation de prendre les mesures et de donner les instructions nécessaires pour préserver les salariés du risque identifié. Le danger n'est pas nécessairement extérieur au salarié. Il peut aussi résulter de son état de santé: un salarié en état d'ébriété qui s'apprêterait à manier du matériel dangereux obligerait ainsi l'employeur à mettre en oeuvre les mesures nécessaires, sous peine de s'exposer à des sanctions pénales. Le simple fait de s'abstenir est ainsi puni d'une amende de 3 750 euros.
3 - La visite médicale, une aide pour le dirigeant?
Les visites médicales peuvent permettre de diagnostiquer des comportements addictifs sur le lieu de travail. Il appartient alors au médecin du travail de formuler les recommandations adaptées. La visite médicale d'embauche a notamment pour finalité de vérifier que le salarié est médicalement apte au poste auquel il est affecté et de rechercher s'il n'est pas atteint d'une affection dangereuse pour ses collaborateurs. Pour autant, s'agissant de la toxicomanie, le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels a estimé qu'un dépistage systématique n'était pas justifié, l'employeur ne pouvant demander à un candidat que des renseignements ayant un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé (note ministérielle du 9 juillet 1990). Mais lorsque l'usage de drogue peut engendrer des risques, le médecin du travail peut prescrire des examens de dépistage, sous réserve que le salarié ait été dûment informé de ces examens et de leur finalité. Par ailleurs, le salarié doit bénéficier d'examens médicaux périodiques (au moins tous les 24 mois), tout salarié pouvant, en outre, bénéficier d'un examen médical à la demande de l'employeur.
4 - Soignez votre règlement intérieur
Le règlement intérieur, même s'il n'est pas obligatoire dans les entreprises employant moins de 20 salariés, fixe les mesures d'application de la réglementation en matière de santé dans l'entreprise et les règles relatives à la discipline et aux sanctions. S'il prévoit une procédure particulière (saisine d'un conseil de discipline, par exemple), cette procédure devra impérativement être respectée. Le règlement n'est pas, pour autant, un catalogue d'infractions. Mais il doit rappeler l'interdiction légale du harcèlement sexuel et moral. Une interdiction renforcée contre le tabagisme peut être prévue compte tenu, notamment, des risques d'incendie ou d'explosion auxquels l'entreprise est exposée en raison de son activité. Le règlement ne doit pas contenir de clauses in justifiées limitant la liberté des salariés telles que des dispositions autorisant la fouille, sauf si l'activité de l'entreprise le justifie. S'agissant de la fouille des armoires, le salarié doit en être informé et y assister.
Le recours à l'alcootest est possible s'il est justifié par la nature du travail confié au salarié (Cass. soc, 24 février 2004, Legifrance n°01-47000). L'alcootest peut être imposé aux salariés amenés à manipuler des machines ou produits dangereux, ainsi qu'à ceux conduisant des engins ou des véhicules automobiles. Au regard des libertés individuelles, l'obligation faite aux salariés de signaler tout symptôme pouvant laisser croire que le salarié concerné ou l'un des membres du personnel est atteint d'une maladie professionnelle, est considérée comme abusive. Il en irait de même pour une obligation générale de signalement de toute conduite addictive.
5 - Des sanctions possibles, mais rares
Les comportements addictifs peuvent conduire l'employeur à prononcer des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement, dès lors que les caractéristiques propres aux fautes disciplinaires sont effectivement réunies. Pour justifier une telle sanction, la faute doit en effet être prouvée, d'une gravité suffisante, en relation avec l'activité professionnelle et non prescrite (le délai de prescription étant ici de deux mois). Il faut aussi que le salarié ne bénéficie d'aucune circonstance atténuante, tenant par exemple aux tolérances passées de l'employeur, à son ancienneté ou aux propres fautes de l'employeur ou de la hiérarchie.
Bio
Jean-Marie Léger est avocat au cabinet Avens, Lehman & Associés, spécialisé en droit des affaires depuis 19 ans. Rens.: www.avens.fr