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Commerce: la pub télé des grands soucie les petits

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Système U, Carrefour, Auchan et les autres enseignes de la distribution sont parties à l'assaut des grandes chaînes de télévision. Leurs spots de pub sont partout, vantant les mérites de leurs produits. De quoi effrayer les commerçants de proximité?

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Depuis le 1er janvier 2007, les enseignes de la grande distribution ont droit de cité dans les séquences publicitaires des chaînes hertziennes. L'interdiction, qui prévalait depuis 1968, avait déjà été levée, il y a trois ans, pour toutes les chaînes du câble, du satellite, de la TNT et les télévisions locales. Pourtant les distributeurs étaient restés prudents, ne bouleversant pas leurs habitudes de communication. En trois ans, ils ont ainsi investi un peu moins de 35 millions d'euros sur ces chaînes, alors que leurs dépenses dans les autres médias culminaient à près de 6 milliards d'euros, selon le Syndicat national de la publicité TV (SNPTV). Mais il y a fort à parier que cela change désormais. TF1, France 2, France 3 ou M6 drainent des audiences bien plus importantes. C'est pourquoi, selon TNS Media Intelligence, la grande distribution alimentaire pourrait consacrer entre 10 et 15 % de ses investissements à la télévision, soit 150 à 250 millions d'euros pour la seule année 2007. Le groupe Système U a été le premier à dégainer: depuis le 1er janvier, ses spots ont créé l'événement dans le Paf. Carrefour, Leclerc ou Auchan ne sont pas en reste. De nombreuses enseignes se sont engouffrées dans la brèche. Jean-Luc Bret, président du directoire de La Croissanterie, groupe développé en franchises (150 magasins en France) et spécialisé dans la vente de sandwiches et de viennoiseries, n'y voit que des avantages. «Nous sommes dans les galeries marchandes de Carrefour ou Auchan, témoigne-t-il Les campagnes de pub vont forcément augmenter le trafic de leurs magasins Et le nôtre aussi, par conséquent.»

Pour Eric Berlivet, gérant d'un magasin du réseau Cocci Market, commerce de détail alimentaire à Saint-Etienne, la donne est légèrement différente. Géant-Casino, Auchan ou Carrefour sont ses concurrents directs. Pour autant, le commerçant reste confiant: «Ces grandes enseignes vont en tirer des bénéfices en termes d'image et de notoriété, mais nous avons pour nous des qualités qu'elles n'auront jamais l'accueil, la convivialité et le service» Les plus petits commerçants, eux, sont beaucoup plus inquiets. «Le matraquage est très fort, et pour nous, commerçants traditionnels, c'est un nouveau coup dur», se désole Claude Bellot, président de la Confédération générale de l'alimentation de détail (CGAD), qui compare le phénomène à de la concurrence déloyale: «Nous ne pouvons pas rivaliser avec les sommes mises enjeu par les géants de la distribution.»

Selon Claude Bellot, l'enjeu va bien au-delà de la simple concurrence entre petits et grands: «Les commerces de proximité sont le poumon des centres-villes: ils sont une source d'animation et de convivialité. C'est aussi une question de société: il en va de la vitalité économique des coeurs de ville.»

Chronologie
Publicité à la télévision: zoom sur quinze ans de débat législatif

Les règles de la publicité à la télévision sont régies par le décret du 27 mars 1992. Outre les interdictions pour raison de santé et/ou de sécurité publique, quatre secteurs sont interdits, pour des raisons économiques ou culturelles. Il s'agit de la presse, de l'édition, du cinéma et de la distribution.
- Mai 2002: la Commission européenne met en demeure le gouvernement français d'abroger l'article 8 du décret de 1992 interdisant la publicité télévisée pour la grande distribution. Elle invoque, pour ce faire, l'argument de la distorsion de concurrence.
- 1er janvier 2004: les premiers signes d'assouplissement se font jour. La presse peut désormais faire sa promotion sur toutes les chaînes de télévision. L'édition et la grande distribution doivent se contenter des chaînes du câble ou du satellite et des télévisions locales. Quant au cinéma il reste exclu du petit écran.
- 1er janvier 2007: la grande distribution peut faire de la publicité sur toutes les chaînes de télévision. Avec quelques restrictions toutefois. Elle n'a pas le droit, par exemple, d'utiliser la télévision pour des opérations de promotion.

Aider les commerçants de proximité

Conscient du problème, Jean-Paul Charié, député UMP du Loiret et président du groupe d'études sur les PME à l'Assemblée nationale, estime qu'il convient de «rééquilibrer la concurrence, sans pour cela s'opposer de façon systématique aux grandes surfaces, mais en prenant conscience que l'on ne peut pas se satisfaire de cette seule forme de commerce».

Une des solutions proposées par la CGAD, pour promouvoir le commerce de proximité, consiste à s'inspirer de l'initiative du Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat (FNPCA) qui, depuis 1999, mène une campagne publicitaire intitulée «L'artisanat, première entreprise de France».

Financée par chaque artisan, grâce à la contribution annuelle de 11 euros qu'il verse aux Chambres de métiers, cette opération de communication, d'un budget annuel de 10 millions d'euros, a permis de revaloriser l'image de l'artisanat. Reste que pour pouvoir financer une action publicitaire d'une telle envergure, le commerce traditionnel a besoin de fonds. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), plaide en faveur d'une meilleure redistribution des sommes issues de la Taxe d'aide au commerce et à l'artisanat (Taca), qui devrait, selon lui, «être davantage affectée au Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et les commerces (Fisac)». Aujourd'hui, la Taca représente près de 600 millions d'euros par an, mais le Fisac en recevrait, finalement, moins de 15 %, les 85 % restants étant dédiés au budget de l'Etat. Il y aurait donc là une manne susceptible de donner aux petits commerçants les moyens de se défendre face au rouleau compresseur de la grande distribution.

CE QU'ILS EN DISENT

«NOUS NE FAISONS PAS LE MEME METIER QUE LA GRANDE DISTRIBUTION»

Jean-Pierre Boissonnet est bijoutier a Troyes. Voir, sur son petit écran, les enseignes de la distribution faire leur publicité ne le traumatise pas vraiment. «Bien sûr, le premier réflexe est de se dire que cela signe l'arrêt de mort des petits détaillants. Mais, dans l'ensemble, nous ne faisons pas le même métier. Je ne pense pas que, pour nous, cet état de choses ait des conséquences aussi funestes. De toute façon, je suis contre tout assistanat. Il faut faire confiance à l'esprit d'initiative des petits commerçants.»
Jean-Pierre Boissonnet, 47 ans, bijoutier à Troyes (Aube).

«LE MAL EST DEJA FAIT, CELA NE VA PAS CHANGER GRAND-CHOSE»

Selon Eric D., entre les grandes enseignes et les indépendants, le mal est fait. «L'autorisation accordée aux enseignes de la grande distribution de faire de la publicité à la télévision ne va pas changer grand-chose. Le problème, aujourd'hui, ne réside plus dans l'attrait des grandes surfaces par rapport aux commerces traditionnels, mais dans l'accès aux centres-villes, où se trouvent la plupart des petits commerces. Il faut veiller à rééquilibrer l'implantation des magasins entre périphérie et centre-ville, notamment en favorisant l'accès et la circulation dans le coeur des villes, afin de permettre aux commerçants de quartier de survivre.»
Eric D., 31 ans, directeur de Chaussures Doubrère (six points de vente), à Pau (Pyrénées-Atlantiques).

«LE COMMERCANT INDEPENDANT NE PEUT PAS SUIVRE»

Daniel Benyahia, gérant d'une boutique de prêt-à-porter de dix salariés, estime que le commerce indépendant est aujourd'hui à la croisée des chemins. «Aucun indépendant ne pourra se permettre d'être présenta la télévision, comme les grandes enseignes. La grande distribution possède une force de frappe considérable en termes d'offre, de prix et de stocks. Et la publicité est une arme de plus à sa disposition. Le commerçant indépendant ne peut pas suivre, c'est trop difficile. Le clivage entre «eux» et «nous» est de plus en plus flagrant: nous avons en commun le besoin de satisfaire le consommateur, mais notre approche du métier est totalement différente. Et, en l'état, sans aucune aide, pour un indépendant, envisager un avenir radieux m 'apparaît difficile. A moins de s'appuyer à un réseau de franchises, éventuellement.»
Daniel Benyahia, gérant d'une boutique de prêt-à-porter masculin, à Toulouse (Haute-Garonne).

A SAVOIR

Fisac (Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et les commerces): géré par le ministère des PME, ses fonds sont issus de la Taca. Il a pour objectif de financer des opérations de création, maintien, modernisation, adaptation ou transmission des entreprises du commerce, de l'artisanat et des services, afin de préserver et de développer un tissu d'entreprises de proximité.


Taca (Taxe d'aide au commerce et à l'artisanat): sont soumis à cette taxe les entreprises créées depuis le 1er janvier 1960, dont la surface de vente au détail est supérieure à 400 m2 et qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur ou égal à 460 000 euros HT. Le produit de la Taca est affecté, pour partie, au Fisac.

 
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Jean-Noël Caussil

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