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«Commerce de crise n'est pas crise du commerce!»

Publié par La rédaction le

Pour Jean-Marc Lehu, la crise est une chance! Cet expert du marketing, auteur d'ouvrages de référence, nous livre sa vision des opportunités qui s'offrent au commerce en ces temps de rigueur économique.

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«Tout organisme vivant qui ne s'adapte pas à son écosystème lorsque celui-ci change profondément, meurt!», une maxime à garder en tête en temps de crise.

@ FOTOLIA

«Tout organisme vivant qui ne s'adapte pas à son écosystème lorsque celui-ci change profondément, meurt!», une maxime à garder en tête en temps de crise.

Soit vous revenez d'un séjour prolongé dans la forêt birmane, soit vous êtes informé que nous sommes «en crise» depuis un peu plus d'un an maintenant. Comme tous les acteurs économiques, nombre de commerçants sont touchés, parfois très durement, essentiellement par le ralentissement corollaire de la consommation et des difficultés de financement. Est-ce pour autant une crise du commerce? Non! Est-ce toutefois une crise grave? Oui! Tous les commerçants vont- ils s'en sortir? Non! Existent-ils des comportements salvateurs? Possible...

La crise...? Quelle crise?

Cette crise est médiatique car elle est originale, brutale et multifacette. Ce n'est pas la première crise économique que le commerce moderne ait à traverser. Mais c'est sans conteste la première dans un tel contexte. Car à se concentrer sur les conséquences économiques les plus visibles, on en oublierait presque la crise commerciale des accords de Doha non signés, la crise alimentaire des denrées de base, la crise énergétique et la volatilité des cours des matières premières, la crise immobilière, la crise géopolitique toujours latente, sans parler de la crise sanitaire dont la grippe A H1N1 est ponctuellement la plus emblématique. Toujours pas envie de repartir dans la forêt birmane? Associées, ces crises en génèrent une autre qui impacte directement le commerce: une crise de confiance quasi généralisée. L'absence de visibilité crée la méfiance, qui engendre la prudence, qui freine la consommation. Et ce, même si la France est loin d'être, en la matière, la plus mal logée des économies dites développées. Le seul véritable danger de cette crise est que, malheureusement, elle risque de ne pas durer suffisamment longtemps! Quelle qu'elle soit, une crise n'est jamais une fin en soi. C'est une période difficile bien entendu, mais c'est aussi une extraordinaire opportunité cathartique. Celle de purifier son raisonnement, de se poser les difficiles mais bonnes questions: quelle est aujourd'hui la pertinence de mon métier? Mon offre est-elle performante par rapport à la concurrence? Qui sont réellement mes clients? Mon positionnement est-il adéquat? Mes prix sont-ils légitimes? Ma communication est- elle appropriée? Mon implication sociétale est-elle utile et perçue comme telle? Autant de questions, qu'en période de croissance, même molle, on n'a bien souvent ni l'envie ni le temps de se poser. Le commerçant est avant tout un homme (ou une femme). Comme tel, il a donc souvent besoin de craindre au plus profond de lui et de souffrir intensément pour changer, s'adapter, évoluer et progresser. Et c'est pourquoi cette crise risque d'être malheureusement trop courte. D'aucuns, parfois même très liés aux éléments déclencheurs, n'apprendront, ne comprendront et ne changeront rien.

Bio Jean-Marc Lehu

est maître de conférences en marketing à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et conseil en entreprises sur les stratégies de marques. Son dernier livre, «Branded Entertainment», est paru chez Kogan Page en 2007. Il est, par ailleurs, l'auteur de nombreux autres ouvrages, à l'image de «L'encyclopédie du marketing» et de «Stratégie de fidélisation», tous deux parus aux Editions d'Organisation.

Sept pistes pour (ré)agir

En période de crise, la double erreur à ne pas commettre est de penser qu'il suffit d'attendre et que le problème consiste simplement à développer, voire à maintenir les ventes. Insuffisant, «court-termiste» et même dangereux. L'échange avec plusieurs dizaines de commerçants, d'artisans et de petits entrepreneurs en France ces derniers mois a permis d'identifier sept pistes pour (ré)agir. Il s'agit d'un simple constat: la crise existe, mais le fatalisme n'est pas la pensée unique inévitable. Partout dans le monde, commerçants ou non, connus ou plus anonymes, des acteurs réagissent, s'adaptent et gagnent et sont donc sources d'inspiration. La France n'est pas exclue des cas de résistance éclairée et réussie.

1- L'adaptation

Tout organisme vivant qui ne s'adapte pas à son écosystème, lorsqu'il change profondément, meurt! L'offre de biens et de services doit mieux intégrer la contrainte du prix juste. Autrement dit, ce dernier doit être cohérent avec une valeur ajoutée vraie. Conscient qu'il est des clients qui n'ont pas nécessairement envie ou besoin du dernier coûteux smart- phone, Orange, par exemple, propose des téléphones mobiles d'occasion. La marque Mont-Blanc, quant à elle, réduit le nombre de ses points de vente, ce qui diminue son coût de distribution tout en rehaussant son image haut de gamme. Ce peut être également une montée en gamme sur des marchés de niche plus rémunérateurs, comme le fabricant Dell et sa nouvelle gamme high-tech Adamo. On peut aussi citer l'exemple de la stratégie pertinente de proximité en centre-ville couplée à une offre plus accessible de la gamme Carrefour discount développée par l'enseigne éponyme.

2- La conscience

Mieux s'informer et mieux comprendre les besoins et envies des clients, le tout avec un objectif durable. Ayant compris les contraintes de temps de leurs clients de nombreux commerçants développent aujourd'hui un service personnalisé de livraison à domicile. Parce que les sacs plastiques sont nuisibles à l'environnement, l'enseigne Casino s'est associée à une petite entreprise, Trad Y Sel, pour le développement d'un sachet biodégradable à base d'amidon de pomme de terre. La petite boulangerie Le Pain de Pierre, dans l'Essonne, est lauréate de Commerce innov'2009 grâce à une offre utilisant une farine provenant de l'agriculture bio-dynamique.

3- L'authenticité

Concevoir et développer une offre légitimement vraie. Qu'il s'agisse des automobiles britanniques Morgan, dont le savoir-faire permet de fabriquer à la main des voitures de rêve sur commande, depuis 100 ans, ou de Bonne Maman qui décline qualité des ingrédients et tradition de fabrication, des confitures aux spécialités laitières en passant par les gâteaux secs. L'authenticité est au coeur de la promesse. Il en va de même lorsque Danone ouvre la Maison du yaourt à Barcelone, berceau de la marque, et qu'elle lance Origines, un yaourt... authentique.

4- Le sens différenciant

Le sens différenciant est l'objectif trop souvent oublié / négligé du marketing. Innover pour demeurer différent, a fortiori sur les marchés où la concurrence est vive. L'enseigne de prêt-à-porter d'origine irlandaise Primark allie mode, prix bas et renouvellement permanent, pour entretenir cette différence. Résultat: ventes 2008- 2009 en hausse de 18% et les profits de 10%. En France, le suivi régulier d'indicateurs confirmatoires de la certification Iso 14001 (management environnemental) même en temps de crise, bénéficie au positionnement et à la différenciation des magasins Nature & Découvertes.

5- Les valeurs

Le commerce pour le commerce sans se soucier de l'écosystème dans lequel vivent commerçants et clients, n'est pas une approche tenable. Lorsque Kraft met en place une nouvelle charte contraignante (Lu'Harmony) en 2009, pour améliorer la traçabilité du blé, favoriser la sauvegarde des insectes pollinisateurs et encourager la biodiversité... c'est un premier pas important pour l'offre d'un Petit Beurre à «valeurs ajoutées». Lorsque les jar- dineries Botanic renoncent aux engrais chimiques (2007) puis aux pesticides (2008), c'est un choix commercial stratégique audacieux, mais tellement porteur de sens par rapport au positionnement de l'enseigne.

6- La volonté

Agir ou subir? Réagir à la crise requiert nécessairement de la volonté. Lancer un nouveau produit en temps de récession peut paraître irréfléchi. Sauf si ledit produit correspond à un besoin et/ou une envie des consommateurs, qu'il est proposé au juste prix dans les points de vente ad hoc. La combinaison est a priori simple, mais elle pourtant souvent négligée. En 2009, SC Johnson lance un diffuseur portatif d'insectifuge. Efficacité + positionnement cohérent + effort de communication malgré la récession = des ventes supérieures de 400% aux prévisions et un produit presque difficile à trouver cet été aux Etats-Unis. En France, les magasins Carré Blanc ont décidé de proposer des kits merchandising pour faciliter la mise en valeur des nouveaux produits par les franchisés de l'enseigne.

7- Le courage

Savoir aller à contre-courant des idées reçues «déclinistes». Parce que la crise est brutale et puissante, il faut savoir être réfléchi, mais sans pour autant renoncer à être téméraire et audacieux. Comme General Mills qui augmente de 16% ses dépenses marketing sur ses céréales pour 2008-2009 et voit ses revenus (+ 8%) et ses profits (+ 4%) croître en retour. La vente à domicile à l'ère de l'Internet ne paraît pas très pertinente? Pourtant à en juger par le succès de Charlott'(lingerie féminine), la vision stratégique (dynamique de l'approche marketing, qualité des produits, organisation rigoureuse, etc.) et le courage de sa fondatrice Véronique Garnodier sont probablement aussi à l'origine de ces résultats positifs.

Le difficile choix du rebond

S'engager sur ces sept pistes simultanément n'est pas chose aisée. Parce que vouloir s'adapter et évoluer jusqu'à parfois modifier profondément son métier n'est pas simple. Sysco avait pour métier de commercer avec les restaurants américains pour leur fournir matières premières et matériels. Il est devenu également formateur pour les aider à concevoir de nouveaux menus et à cuisiner différemment en temps de crise. En aidant ainsi ses clients, il contribue au maintien de leur activité - alors que plus de 15 000 fermetures d'établissements sont envisagées en 2009 -, et donc au maintien de la sienne... C'est en cela qu'une crise constitue une formidable opportunité d'innovation. Il ne s'agit plus simplement de continuer à vendre, mais d'apporter de vraies réponses aux questions et aux préoccupations des clients.

Un tel engagement ne tient pas tant aux moyens qu'à l'énergie et à la passion des hommes et des femmes décidés à agir. La crise du commerce est dans certains esprits et pour plusieurs mois encore. Certains commerces vont donc disparaître naturellement par manque de volonté d'adaptation et/ou de disparition de la demande pour l'offre proposée. Il ne faut pas s'en attrister outre mesure. Pour les autres, il reste les sept pistes proposées, adossées à un marketing de base accessible à tous: compréhension de son environnement, bon sens et innovation créative dans le respect permanent du client. Y a- t-il défi commercial plus passionnant? Maintenant, pour les timorés invétérés, il reste la forêt birmane...

«Le véritable danger de cette crise? Qu'elle ne dure pas suffisamment longtemps!»
Jean-Marc Lehu, Maître de conférences à la Sorbonne

 
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