Bernard Bissonnet (Boucheries Nivernaises) : "Le boucher-détaillant oriente le goût du consommateur et le conseille"
Publié par Delphine Goater le - mis à jour à
Artisans-bouchers sous le Second Empire et aujourd'hui fournisseurs de l'Élysée, les Boucheries Nivernaises sont l'exemple même d'une réussite à la française. En quelques générations, cette famille de bouchers a su conjuguer savoir-faire et amour du métier pour faire.
(NDLR : entretien publié dans Commerce Mag' 190)
Qui se cache derrière les Boucheries Nivernaises ?
Bernard Bissonnet (co-dirigeant des Boucheries Nivernaises) : Nous sommes une société familiale de bouchers, une tradition qui s'est transmise de père en fils depuis Napoléon III. Notre famille est originaire du Loiret, mon père de 91 ans vit en Sologne et est à la tête d'une tribu de bouchers composée de mon frère Michel, de ses deux fils Julien et Charles, de moi-même et de mon fils Jean-Baptiste.
Nous sommes une grande famille de chasseurs solognots et nous cultivons ensemble la convivialité et le partage des bonnes choses. Ces valeurs partagées sont aussi très importantes sur le plan commercial. Toutes les décisions se prennent en famille, avec l'envie d'aller toujours plus loin et de cultiver l'excellence.
De quand date le véritable essor des Boucheries Nivernaises ?
Il date des années 50. Lorsque j'avais une douzaine d'années, nous étions des bouchers de province, et vendions des saucissons dans les villages. Nous venons du monde de la boucherie chevaline. À ses débuts, mon grand-père était boucher-marchand de chevaux. À Briare, un pont-canal de 700 mètres, construit par Gustave Eiffel, franchit la Loire.
À l'époque, les péniches étaient tirées par les chevaux le long des chemins de halage. Quand le transport fluvial s'est mécanisé, il y a eu beaucoup de chevaux à vendre sur le marché. À la fin des années 40-50, mon père est venu à Paris faire son apprentissage de boucher chez un ami de régiment de mon grand-père.
Très ambitieux, très volontaire, il a commencé en travaillant chez les autres. Se sentant un peu seul sur Paris, il fréquentait une cousine qui travaillait dans une maison de couture rue du Faubourg Saint-Honoré, juste en face de notre boucherie actuelle. Un jour il a racheté la boucherie, qui était toute petite, puis, pour s'agrandir, le fleuriste et le magasin de jouet adjacents... C'est l'une des anecdotes qui parsème la vie de la famille.
Mais ce n'était pas la première Boucherie Nivernaise ?
Non, sa première boutique, il l'a achetée à Suresnes, où il a démarré sa vie professionnelle le 2 décembre 1964. C'était une boucherie à l'ancienne. Il avait des amis mandataires dans les anciennes halles ou à La Villette qui lui prêtaient de la viande pour exposer le jour. Je peux dire que j'ai été conçu dans une boucherie, car tout était au même niveau. L'arrière de la boucherie servait à la fois de salon et de chambre.
C'est la deuxième affaire, à Saint-Cloud, qui a pris le nom de Boucheries Nivernaises, car ma mère était originaire de la Nièvre. La famille s'était agrandie et ne pouvait pas vivre sur la première affaire de Suresnes. Mon père a postulé pour un commerce et le magasin a ouvert en 1957. Quelques années après, il a transporté son affaire au coeur du triangle d'or parisien, rue du Faubourg Saint-Honoré, entre les Champs-Élysées, les ministères, les antiquaires et les grandes maisons du luxe français.
Comment la boucherie est-elle devenue fournisseur de l'Élysée ?
Mon père a toujours été un visionnaire. Il s'est rendu compte que l'Élysée était au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré et s'est demandé : "Pourquoi je ne vendrai pas ma viande au Général de Gaulle ?" Il a tiré la sonnette de l'Élysée, il a été reçu et quelques semaines plus tard, il servait l'Élysée.
C'était dans les années 60. Le Général de Gaulle payait sa viande. Pour les premiers règlements, le chèque était signé du Général de Gaulle. Plus qu'un volume de vente, c'est une carte de visite. L'Élysée est l'une des premières tables du monde. Nous servons aussi Matignon, ce qui est utile en cas de cohabitation.
Qui a construit le groupe des Boucheries Nivernaises ?
C'est mon père, à partir de cette place centrale. En 1969, il a été le premier à implanter un magasin alimentaire dans un centre commercial en France, à Parly2. Aujourd'hui, Les Boucheries Nivernaises est le dernier bastion de la viande à Paris intra-muros. Tous mes autres confrères ont été obligés d'émigrer hors de Paris.
Mon neveu dirige Le Coq Saint-Honoré, place du Marché Saint-Honoré, le dernier volailler de Paris ! Mon frère Michel dirige Lalauze, la plus ancienne boucherie de Paris, porte de la Villette. Nous répondons aux contraintes sanitaires et vétérinaires extrêmement pointues, parce que nous sommes propriétaire de nos locaux.
Notre viatique, c'est l'agrément européen. Notre particularité est d'être ouvert tous les jours de l'année, sauf le matin de Noël. Certes, nous fermons la boutique de détail le dimanche après-midi et le lundi toute la journée, mais le dimanche, je travaille avec mes clients demi-gros et RHF. Dans le groupe Boucheries Nivernaises, il y a trois boucheries de détail, la société de négoce Cedral à Rungis et une part du capital de Novoviande.
D'où provient la marchandise ?
La viande vient de partout. Nous avons la chance d'être à L'Haÿ-les-Roses, à 15 km de Rungis, le plus grand marché du monde. Tout ce qu'il y a de plus beau de France ou d'Europe arrive à Rungis.
L'atelier des Boucheries Nivernaises sert les plus grandes tables de France et du monde. Nous fournissons aussi bien les palaces parisiens que les bistrots et bien sûr, les particuliers amateurs de viande. J'ai des agréeurs dans de très nombreux abattoirs de province et de l'étranger qui font la sélection de la plus belle marchandise et nous envoient de la viande irréprochable.
Nous vendons énormément de viande française, mais pas uniquement. Je vais chercher ma viande de Bavière en Allemagne, le veau dans le Limousin, le porc Noir en Bigorre, la charolaise dans le Charolais... Je vends à mes clients ce qu'ils veulent m'acheter, il n'y a pas besoin d'avoir fait HEC pour comprendre cela !
Quelle est votre spécialité ?
Nous sommes un peu des spécialistes de la viande grasse, j'ai basé mon commerce là-dessus en partant du principe qu'il n'y avait pas de bonne viande maigre. Le gras, c'est nécessaire à la qualité de la viande, mais il ne faut pas en abuser non plus et vous n'êtes pas obligé de le manger.
J'ai du mal à trouver la viande bien persillée dont j'ai besoin pour ma côte de boeuf. Après la crise de la vache folle en 1996, j'ai pris l'option de privilégier la France, les produits français et après, pour ne pas faire comme tout le monde, la viande épaisse, persillée.
Après, il faut aller tirer les sonnettes, voir les gens pour faire goûter, tester, comparer et aller voir les chefs, comme Joël Robuchon ou Guy Savoy, qui sont à votre écoute...
Quel est le rôle du boucher détaillant ?
Il oriente le goût du consommateur et le conseille. Le client, n'attend que cela, du conseil. Le détail représente 15 % du CA du groupe familial. Sa part a diminué dans notre groupe, parce qu'il y a des cycles.
Nous avions des boutiques dans tous les centres commerciaux, puis il y a eu une évolution lorsque les hypermarchés sont arrivés. À cette époque, mon père n'a pas eu de problème pour revendre les emplacements, puisqu'il avait les meilleures places. Le commerce est en perpétuelle évolution, ce n'est pas figé.
Observez-vous un recul de la consommation de viande ?
La tendance actuelle, c'est de manger moins, mais de manger mieux, et de meilleure qualité. En fait, on observe surtout des reports de consommation, en fonction de ce que les gens peuvent lire ou voir. Au lieu de manger du boeuf, ils vont manger du veau ou de la volaille. À l'arrivée, cela vous fait un chiffre d'affaires quand même.
Comment transmettez-vous l'amour de la boucherie ?
Nous formons beaucoup et nous partageons l'amour du métier et notre savoir-faire, la qualité de la sélection et le goût du produit. Dans notre boucherie du Faubourg, nous accueillons un jeune apprenti de 14-15 ans qui est rayonnant, ambitieux, motivé, courageux. C'est un très beau métier, mais on ne lui cache rien : on vit dans le sang, dans le froid, dans le gras, vous travaillez d'abord avec les couteaux.
Je suis debout tout le temps, je soulève du poids... même si maintenant, il y a de plus en plus d'automatisation, ce qui est un avantage non négligeable du point de vue de la sécurité au travail. Mais il fera toujours aussi froid dans nos labos...
Repères
Raison sociale : Les Boucheries Nivernaises SAS
Ville : Paris (VIIIe)
Dirigeants : Bernard et Michel Bissonnet
Effectif : 220 - 230 personnes
CA 2019 : 55 M€